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C'est quand, déjà, la fin du monde ?
J. G. Ballard poète de l'apocalypse
On avait tendance à l'oublier : J. G. Ballard, auteur du cultissime Crash !, a débuté sa carrière par de somptueux romans de science-fiction. Oubli réparé aujourd'hui avec la réédition de Sécheresse et du Monde englouti dans l'excellente collection Lunes d'encre chez Denoël. Ces deux romans composent, avec Le vent de nulle part et La forêt de cristal, une sorte de quadriptyque de l'apocalypse dans lequel Ballard imagine notre bonne vieille terre soumise à la fureur des quatre éléments déchaînés.
Dans les années soixante, on ne parlait pas encore du réchauffement climatique : les écrivains de science-fiction nous ont habitués, depuis Verne et Wells, à ce genre de prémonition. Sécheresse et Le monde englouti décrivent les deux mâchoires du piège qui va peut-être se refermer sur l'humanité : la raréfaction de l'eau potable et la montée des océans. Mais là n'est pas leur intérêt principal. Nourri de poésie et de peinture surréalistes, Ballard met en scène la vénéneuse beauté de nos cauchemars. Son univers, véritable paysage mental qu'auraient pu illustrer Miró ou Dali, fascine au moins autant qu'il effraie : dans Sécheresse, des «bergers de l'eau» poussent devant eux, sur la terre saturée de sel, une flaque péniblement arrachée à la mer ; et dans Le monde englouti, des iguanes prennent possession de nos villes et de nos immeubles. Les mondes imaginaires de J. G. Ballard ne ressemblent, on l'aura compris, à aucun autre : "Nous vivons, écrit-il, à l'intérieur d'un énorme roman. Il devient de moins en moins nécessaire pour l'écrivain de donner un contenu fictif à son oeuvre, la fiction est déjà là. Le travail du romancier est d'inventer la réalité."
Et cette réalité-là, malgré le pessimisme radical de son auteur, pourrait bien receler encore une petite lueur d'espoir. À la dernière ligne de Sécheresse, la pluie tombe enfin...
Voilà ce qu'on peut lire à la page 40 de L'autofictif :
«Le prochain qui prétend que mes livres sont des exercices de style, je jure que je lui montre sur-le-champ quel raffiné barbare je suis spontanément.» Tenons-nous-le pour dit ! Et cependant... comment parler de Chevillard sans parler de style ?
Le bougre en a à revendre, et s'il est un livre qui satisfait aux exigences de Gustave Flaubert : «un livre qui tient debout...», etc... c'est bien celui-ci. Au départ, un blog au cahier des charges plus téméraire qu'il n'y paraît : trois «pensées» par jour (beaucoup d'écrivains n'atteindraient même pas la deuxième semaine...) À l'arrivée, ce livre hilarant, sardonique, sarcastique, drolatique, recueil de fables animalières (l'oeuvre de Chevillard est une vraie ménagerie !), de calembours métaphysiques («Rien de tel qu'une bonne lime à ongle pour arrondir ses fins de moi»), de blagues astronomiques («La terre est givrée comme une orange»), d'aphorismes marxistes (tendance Groucho, bien sûr : «Bah ! l'humanité me dégoûte, surtout les misanthropes»). Bref, le genre de livres que l'on croit pouvoir picorer négligemment, entre deux lectures «sérieuses», et que l'on se prend à lire d'un bout à l'autre, une main sur le crayon, une autre sur la poitrine pour comprimer un gloussement devenu chronique. De drôles de personnages s'invitent à cette fête du langage : une certaine joggeuse au caleçon court, le «gros célibataire» et ces haïkus pathétiques, la propre fille de l'auteur qui, à peine venue au monde, devient le motif d'un tendre délire - et jusqu'à ce pauvre Alexandre Jardin, rejoignant Désiré Nisard au panthéon des détestations chevillardiennes !
Gageons que la bibliothèque de cet énergumène est bien fournie. Qu'on y trouve en bonne place Lichtenberg, Lautréamont, Jarry, Péret, Bierce, Rigaud, Jules Renard - peut-être aussi Woody Allen, Pierre Dac et Pierre Desproges. Certains adages particulièrement tordus nous rappellent ceux du pataphysicien bordelais Michel Ohl. Mais son livre est pourtant inimitable. La preuve : il a fallu attendre 2008 et cet Autofictif délectable pour s'apercevoir enfin que voyage était l'anagramme de goyave !
Il aura bientôt deux cent ans mais il se porte comme un charme. Sa sainte indignation face à l'injustice est plus que jamais salutaire. Son style foisonnant et baroque n'a pas pris une ride, ses métamorphoses bizarroïdes nous enchantent toujours (saluons au passage le travail de la traductrice Catherine Delavallade) ses visions macabres nous dressent encore le poil. Bref, Charles Dickens, doyen de cette rentrée littéraire, en est aussi à bien des égards l'une des principales attractions. Permettons-nous un petit cocorico : c'est grâce à un éditeur talenço-bordelais que Le voyageur sans commerce, inexplicablement resté inédit en français, voit enfin le jour après cent cinquante ans de purgatoire, dans une éditions très élégante agrémentée de belles illustrations de David Prudhomme. A l'origine de ce recueil, une série d'articles écrits par Dickens à partir de 1860 (il a quarante-huit ans) pour son propre périodique All the year round, dans lesquels il semble renouer avec la veine désinvolte des Esquisses de Boz, son premier livre. Le voyageur sans commerce enquête dans les hospices et les prisons pour dettes, se perd dans la campagne anglaise, revisite Londres ou Paris ; mais l'auteur est maintenant au sommet de son art, et le - moteur à deux temps - de la mécanique dickensienne fonctionne ici à plein régime : d'abord l'observation - un regard acéré auquel rien n'échappe, qui traque le grotesque, le monstrueux, le dérisoire comme un scanner dévoile la tumeur. Et puis l'alchimie de l'écriture : elle amplifie, réduit, biffe, souligne, développe, et trouve un angle d'attaque insolite qui transfigure le réel sans le vider de sa substance.
Florilège de l'esprit et du style de Dickens, Le voyageur sans commerce est aussi une confession à l'intérêt autobiographique exceptionnel : le ton en est souvent intime, voire introspectif, surtout dans Dullborought Town (un Chatham à peine déguisé) où il arpente le décor de sa jeunesse enfuie, livrant sur la nostalgie de l'enfance, la fuite du temps et l'impasse de la maturité des pages quasi-proustiennes. Enfin, comme enhardi par la proximité du lecteur, il n'hésite pas à lever le voile sur ses plus secrètes obsessions dans Souvenirs de la mort. La contemplation des cadavres à la morgue parisienne lui inspire des pages stupéfiantes où compassion, méditation métaphysique et fascination morbide se mêlent, sublimées par la vigueur du style et l'intensité baroque de la poésie. Bien plus qu'une oeuvrette de circonstance ou qu'un délassement de créateur surmené, Le voyageur sans commerce est l'une des pièces maîtresses de ce puzzle gigantesque, étrange et chatoyant qui, des Esquisses de Boz jusqu'au Mystère d'Edwin Drood, constitue l'un des sommets de la littérature. Pour paraphraser Chesterton, c'est... un morceau d'une substance fluide et composée appelée : Dickens.
Après un accident de voiture, Juan Cabo a perdu la mémoire. À son réveil, on lui apprend qu'il est un écrivain célèbre. Peu avant le drame, il a noté cette phrase dans son carnet : «Je suis tombé amoureux d'une femme inconnue.» Mais s'agit-il d'une allusion à un événement réel ou bien d'un début de roman ?
Daphné disparue a été publié en Espagne la même année que La caverne des idées, et de nombreux points de convergence existent entre les deux livres. Dans l'un et l'autre, Somoza noue et dénoue les fils de son écheveau favori : l'intrication du réel et de la littérature. Ses personnages vivent dans un monde où la ligne de partage entre réel et imaginaire n'est pas nettement tracée ; où l'essentiel n'est pas de démêler le vrai du faux, mais de savoir ce qui a du sens et ce qui n'en a pas. Ce sens ne cesse de miroiter, puis de filer entre leurs doigts comme de l'eau vive : expérience ô combien frustrante mais c'est peut-être justement dans cette frustration que réside le sens ! Émaillé de trouvailles cocasses et poétiques - ce restaurant fréquenté uniquement par des plumitifs qui passent plus de temps à écrire ce qu'ils voient qu'à manger, cette «muse professionnelle» posant pour des écrivains en mal d'inspiration, cet éditeur qui commande à plusieurs centaines d'auteurs le récit exhaustif d'une même nuit madrilène - Daphné disparue est une subtile méditation qui se lit comme un thriller : du Raymond Roussel revu et corrigé par Chandler ou Hammett. Un plaisir de lecture à la fois intense et raffiné.
Infirme et désespéré, Piotruś se plante au beau milieu du marché de Tel-Aviv avec une pancarte autour du cou : «À vendre.» Et il trouve acquéreur... Mme Zinn l'embauche pour occuper les toilettes de son appartement et décourager ainsi ses sous-locataires.
C'est une farce, oui, mais une farce grinçante. À propos de ce livre, on a souvent évoqué Kafka, Beckett, Gombrowicz, et leurs personnages grotesques exécutant une dernière pirouette avant de sombrer dans l'abîme. L'homme selon Lipski n'est qu'un «sac de glouglous, tout mou, tout humide, et percé de trous.» Cependant, cette philosophie tragique est illuminée de fulgurances poétiques, de beautés aussi ensorcelantes que Batia, la jeune artiste voluptueuse, dont les apparitions inopinées arrache Piotruś à sa prison sanitaire...
Voilà bien résumé l'étrange destin de Leo Lipski. Atteint d'hémiplégie après avoir contracté le typhus en Iran, il ne pourra plus compter, pour s'évader de la prison de son propre corps, que sur le pouvoir capricieux de la littérature.
Piotruś est une oeuvre inclassable, dérangeante, à la fois baroque par son style et austère par sa métaphysique. Il fallait l'audace et le flair de nos chercheurs d'or de l'Arbre vengeur pour exhumer une telle pépite !
Eléazard von Wogau, érudit fraîchement divorcé, traîne son mal de vivre au milieu des fastes décatis de la ville d'Alcântara, Brésil. L'un de ses anciens condisciples lui fait parvenir un manuscrit concernant Athanase Kircher, savant jésuite bien oublié du XVIIème, dont il entreprend l'exégèse. Pendant ce temps, son ex-épouse Elaine remonte le fleuve Paraguay et s'enfonce dans la jungle amazonienne pour une expédition archéologique qui tourne au cauchemar - Pendant ce temps, leur fille Moéma glisse sur la pente savonneuse de l'addiction et de la haine de soi - Pendant ce temps, Moreira, gouverneur de la Province d'Alcântara, échafaude une machiavélique opération immobilière avec la bénédiction du Pentagone - Pendant ce temps, le jeune Nelson, mendiant et pickpocket infirme, rumine des projets de vengeance à l'encontre dudit gouverneur.
Enfin ! On en tient enfin un ! Nous voulons dire : un roman français dont la folle ambition, la complexité assumée et transcendée, la stupéfiante maîtrise rejoignent celles des grands livres de la littérature mondiale - et l'on n'avait pas vu ça depuis longtemps, peut-être depuis le mémorable Montée en première ligne de Jean Guerreschi. On ne sait où donner de la plume pour rendre justice à cet opus extravagant : les adjectifs qui viennent à l'esprit pour le circonvenir - érudit, baroque, inspiré, échevelé ? - vous filent entre les doigts comme les pièces d'une monnaie qui n'aurait plus cours. Par quel bout prendre ce maître-livre ? Par quel versant escalader une telle montagne ? Le versant Kircher, ce savant adulé en son temps mais bien oublié aujourd'hui - ses intuitions enthousiastes ont fait long feu - mais dont la tentative désespérée d'harmoniser, de lire le monde force encore l'admiration - Le versant Eléazard, exégète borgésien du précédent, qui se perd et se retrouve à la fois dans une entreprise biographique vouée à l'échec - Le versant Elaine, et sa dérive amazonienne digne du Aguirre de Werner Herzog - Ou le versant Brésil, tout simplement ? Un pays travaillé par des traditions mystérieuses et tenaces, des complots cyniques, des révoltes sans espoir. On ne dira pas comment l'oeuvre de Kircher, mort à Rome en 1680, se trouve sollicitée au beau milieu de la jungle amazonienne à la fin du XXème siècle. Ni pourquoi Eléazard, d'un clic de souris, efface sans regret l'exégèse qui aurait dû être le sommet de sa carrière - Ni de quelle manière stupéfiante se termine l'expédition d'Elaine - On ne dira rien de plus, car on se plait à imaginer les lecteurs de cet article en route vers leur librairie préférée - la nôtre, de préférence, mais pour la bonne cause nous serons magnanimes -, on entend déjà leurs pas précipités sur le trottoir devant la boutique, et l'on s'apprête déjà à les régaler d'un festin rare, Là où les tigres sont chez eux, de Jean-Marie Blas de Roblès.
Il paraît que les jurés du Goncourt ont pris de bonnes résolutions... Qu'ils ne ratent pas cette occasion de le prouver !
Angleterre, 1962. Dans le petit hôtel très middle-class d'une station balnéaire, Edward et Florence s'apprêtent à passer leur nuit de noces. Ils sont jeunes, ils s'aiment sincèrement - mais cela suffira-t-il pour surmonter leurs craintes, leurs inhibitions, voire, dans le cas de Florence, une répulsion inavouée pour le sexe ?
Après deux livres de la classe d'Expiation et de Samedi, on aurait presque admis de Ian McEwan une petite baisse de régime - Il n'en est rien ! Dans un registre certes moins ample, mais tout aussi profond, Sur la plage de Chesil est encore une parfaite réussite. McEwan se montre bien le digne héritier d'Henry James, par sa façon de traquer la vérité des êtres sans jamais en épuiser le mystère. Pour expliquer l'aversion de Florence, il aurait pu sombrer dans le freudisme de bazar - mais la «piste» oedipienne n'est que subtilement évoquée - ou bien incriminer sans nuance la pudibonderie d'une époque révolue. Certes, l'Angleterre provinciale de ce début des sixties n'est pas exactement celle du swinging London - mais là encore, McEwan se garde des simplifications sociologiques à l'emporte-pièce : témoin ce final bouleversant où la jeune fille «refoulée» fait montre d'une audace tout à fait paradoxale. L'auteur, cependant, est loin de se désintéresser de la problématique sociale : elle innerve au contraire tous ses livres. Dans Expiation, les préjugés de classe sont autant responsables du drame que la terrible méprise de Briony ; et dans Samedi, l'irruption du «voyou» Baxter vient bousculer l'existence patricienne d'Henry Perowne. Dans Sur la plage de Chesil, face aux parents de Florence - un homme d'affaires prospère et une don d'Oxford - ceux d'Edward ne font pas le poids. 1935, 2003, 1962 : rien, au fond, ne change vraiment. On pense alors à un autre maître de McEwan, Thomas Hardy, à l'amertume des personnages de Jude l'obscur ou de Tess d'Uberville devant l'infranchissable fossé qui sépare les êtres.
Lena est pour la Révolution ; Paul n'est pas contre, mais il est surtout pour Lena. Salvador Martinez, dit Salva, en bon anarchiste espagnol, est contre tout, sauf l'eau-de-vie de prune, le chorizo, Garcia Lorca, les jolies filles et les demis sifflés au comptoir du Caminito avec son ami Paul. C'est le temps du patchouli, de Tubular Bells, des tracts ronéotés et des manifs pour (ou contre ?) le Larzac. Au 34 de la rue du Chevaleret, repaire de chevelus trotskistes et maoïstes, on prépare l'avènement d'un nouveau monde - mais d'autres militants au crâne rasé tentent au contraire de restaurer l'ordre ancien (baptisé d'ailleurs Ordre Nouveau), et n'hésitent pas à enrôler sous leur bannière la dépouille du Vieux Maréchal qui reposait tranquillement à l'Ile d'Yeu - Las ! Lena se retrouve avec un bébé sur les bras, Paul et Salva dans une estafette contenant le cercueil du vainqueur de Verdun !
Cela aurait pu s'appeler Nous nous sommes tant aimés. Car si le précédent opus de Jean-Marie Laclavetine, Matins bleus, avait un petit côté altmanien - entrechats de destins croisés sous l'oeil omniscient d'une verrière de gare - Nous voilà évoque plutôt les belles années de la comédie italienne, celle des Scola, Risi, Gazman et autres Manfredi, où la grandeur côtoyait le grotesque, où la dérision était tendre et la tendresse féroce. Après une première partie endiablée, dont l'escapade des restes du Maréchal, de la Vendée au Larzac en passant par les berges de la Seine, constitue le délirant fil d'Ariane, le rythme du récit s'accélère encore : et ce sont trente années d'Histoire qui défilent et clignotent tel un kaléidoscope psychédélique ou un trip au L.S.D., sans que jamais le lecteur ne perde de vue l'essentiel, c'est-à-dire les personnages. Jean-Marie Laclavetine pose sur la génération des post-soixante-huitards un regard impitoyable : la scène finale du roman, véritable bal du Temps retrouvé où «l'ancien guérillero fraternisait avec le député libéral» et où se croisent «politiciens, traîneurs de berges interlopes, psychanalystes à la coule, ministres à la godille, humanitaires reconvertis dans le story-telling, brasseurs d ?opinion, avocats de renom, escrocs aux dents blanches dont les mains levées pour saluer les amis faisaient gicler dans l ?air les éclats scintillants de leurs montres comme la boule du Balajo» fera grincer quelques dents au Quartier Latin - peut-être même à portée de mégaphone du bureau que l'auteur occupe rue Sébastien-Bottin. Mais si l'on s'est délecté de ce brillant jeu de massacre, on n'oubliera pas non plus des moments de pure grâce : un barbouze qui, pour quelques secondes, se laisse conquérir par la poésie de Lorca ; un grand-père, un père et un fils communiant en silence devant le bassin à poissons d'un pavillon de banlieue. Des «valeurs» émergent du tourbillon - non pas celles, abstraites ou frelatées, des missels politiques, mais d'autres, plus simples et plus profondes à la fois : la fidélité de l'amitié, l'amour comme un combat, le pouvoir salvateur de la littérature. Oui, nous voilà, nous les vivants, munis pour tout viatique de cette citation de Gombrowicz que Jean-Marie Laclavetine a mis en exergue : «Je n'idolâtrais pas la poésie, je n'étais pas excessivement progressiste ni moderne, je n'étais pas un intellectuel typique, je n'étais ni nationaliste, ni catholique, ni communiste, ni homme de droite, je ne vénérais ni la science, ni l'art, ni Marx - Qui étais-je donc ?»
Le petit Pablo a disparu sur le chemin de l'école. Quelques années plus tard, son père, le policier Pierre Vilar, expédie les affaires courantes sans avoir renoncé à l'espoir de le retrouver vivant. Le jeune Victor, lui, est bien rentré du collège... mais pour trouver le corps de sa mère, sauvagement assassinée. Ces deux inconsolables auraient-ils un autre point commun que leur souffrance ?
Après une infidélité dont nous ne lui tiendrons pas rigueur, puisqu'elle nous a valu le remarquable Homme aux lèvres de saphir (Grand prix du roman noir), Hervé Le Corre revient à ses premières amours : Bordeaux. Certes, le commissariat central a déménagé, la Cité Lumineuse est détruite, mais Pierre Vilar ressemble à Louis Lorenzo, le père outragé de La douleur des morts, et Victor, à quelques années près, aurait pu squatter le «bunker» des Effarés. Dans une ville écrasée de chaleur, le long d'un estuaire bourbeux qui charrie du désespoir, le commandant Vilar ne fait plus «que deux choses : fuir et pourchasser, en bon gardien des lois de la jungle» tandis que Victor, en quelques semaines, découvre les secrets de la vie et de la mort. Dans Les coeurs déchiquetés, les cités de banlieue, les vignes du Médoc et les bars de La Victoire perdent le rassurant vernis de l'ordinaire. À l'instar du Boston de Lehane ou du Marseille d'Izzo, Bordeaux devient presque mythique tout en restant bien enraciné dans le réel de la misère sociale. Dans la grande tradition des maîtres du roman noir, Hervé Le Corre dépeint avec brio la souffrance de la perte et le combat quotidien contre la déroute des sentiments.
«Son visage était aussi rond et aussi banal qu'une pomme du Norfolk ; ses yeux étaient aussi vides que la mer du Nord». Ainsi apparaît, dans sa première enquête, l'un des détectives les plus originaux de l'histoire du roman policier : le père Brown n'a rien de remarquable, mais il remarque tout. Il est insignifiant, mais il sait découvrir le sens caché des choses. Sa sagacité n'a d'égale que celle de Sherlock Holmes ; comme lui, il ordonne le chaos des indices contradictoires en un récit lumineux qui laisse le lecteur pantois d'admiration. Et il dépasse même le limier de Baker Street car il puise sa force, non seulement dans la science et la froide logique, mais aussi dans sa connaissance profonde des labyrinthes de l'esprit humain. Avec ce personnage hors du commun, la subtilité, l'ironie et le génie du paradoxe de Chesterton (1874-1936) atteignent leur apogée.
L'intégralité des enquêtes du Père Brown est enfin disponible en français. Ne nous refusons pas ce festival d'intelligence !
À lire d'une traite, jusque tard dans la nuit... ou bien à grignoter, une histoire après l'autre, comme une délicieuse plaque de chocolat que l'on fait durer le plus longtemps possible !
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