Auteur : Olivier Sebban
Date de saisie : 06/03/2008
Genre : Romans et nouvelles – francais
Editeur : Seuil, Paris, France
Collection : Cadre rouge
Prix : 21.50 / 141.03 F
ISBN : 978-2-02-090683-8
GENCOD : 9782020906838
Sorti le : 10/01/2008
- Les presentations des editeurs : 17/09/2008
Espagne, 1936. A la veille de la guerre civile, Feli, le narrateur, s’engage dans l’armee reguliere. Issu d’une famille de juifs marranes installee pres de Tolede, le jeune homme est hante par le suicide de son grand-pere, un proprietaire terrien dont les oliveraies ont fait faillite. Croyant laver la honte en se mettant au service de son pays, Feli ne tarde pas a se rendre compte qu’il est en realite passe dans le camp de la reaction et de l’aigreur. La guerre eclate tandis qu’il termine ses classes a l’Alcazar. Il participe, du cote des defenseurs, au siege de la forteresse toledane. Son destin bascule lorsque le commandant de la garnison lui confie une lettre d’appel a l’aide a porter au general Franco : hors de l’Alcazar, Feli est aussitot fait prisonnier par les republicains. Manquant d’etre fusille, il parvient a gagner leur confiance et se range a leurs cotes. Commence alors une vie de perils et d’errance dans un pays a feu et a sang, jusqu’a Madrid. Blesse, Feli y rencontre une jeune infirmiere, Amapola. Ensemble, ils decident alors de fuir le cauchemar dans lequel la guerre les a plonges.
Olivier Sebban a 36 ans. Servi par un lyrisme puissant et un grand sens du picaresque, Amapola est son premier roman.
- La revue de presse Martine Silber – Le Monde du 7 mars 2008
L’amapola, c’est un coquelicot en espagnol, c’est aussi une chanson cubaine interpretee par Tino Rossi ou Luis Mariano, et c’est encore le titre du premier roman d’Oliver Sebban, qui a pour theatre la guerre civile espagnole…
La simplicite du texte est constamment dementie par la coexistence de differents niveaux d’ecriture, d’histoires entremelees et l’extreme densite du style. Le narrateur, Miguel de Felisantes Aroa Cabrera, dit plus simplement “Feli”, est tellement penetre de son sujet qu’on a l’impression parfois de lire des memoires d’ancien combattant. D’autant que sa description de la guerre, de la violence, du desoeuvrement et de l’ennui, du desastre annonce, de la destruction des espoirs et des ames et surtout de l’engagement des uns ou des autres dans un camp ou dans l’autre sans veritable raison, sonne juste, sans fioritures, loin du romantisme ou d’une vision manicheenne de la guerre civile, dont les fantomes planent encore sur la societe espagnole aujourd’hui.
- Les courts extraits de livres : 17/09/2008
Franco est mort hier, 20 novembre 1975, a l’age de quatre-vingt-trois ans.
Un demi-siecle plus tot, mon pere traversait avec moi l’une des oliveraies ayant appartenu a Aaron Cabrera, mon grand-pere. Il me conduisait au bureau de recrutement pour m’y inscrire comme saisonnier. Ce jour-la me fut revelee l’imminence d’un exode qui durerait quarante annees. Un exode qui suivait un retour a la terre que quatre cents ans d’eloignement n’avaient pas suffi a effacer de la memoire familiale. Mon pere avancait, bleme dans la lumiere de l’aube qui ranimait les vergers aux alentours de Tolede -arbres que mon grand-pere avait decide de racheter en revenant du Maroc, fruitiers dont les racines d’une profondeur plus symbolique que suffisante pour compenser l’absence et le bannissement s’ancraient dans une terre qui n’etait plus la notre. Il n’avait pas cet air humble et recueilli qu’il affichait, retranche dans la priere, la lecture des textes, seul bien dont il semblait avoir herite en compensation de la propriete confisquee et qu’il foulait avec reticence. Sa main moite enserrait la mienne. Il etait impossible de posseder la terre, deconseille de s’eloigner d’une filiation moins haute que celle des textes sacres sans payer le prix d’une malediction dont nos ancetres avaient endure le poids apres la Catastrophe, l’expulsion de 1492.
Un autre glissait entre les arbres, nous escortait a distance. Nous le sentions nerveux. Nous l’apercevions sans le distinguer. Son visage : une tache sombre, blafarde, quand il regardait dans notre direction. Ses cheveux, noirs, plaques en arriere, rappelaient l’apparence soignee qu’il arborait sur l’unique photo que nous possedions de lui. Il cherchait en lisiere du terrain, s’affairant et disparaissant parfois. Mon pere et moi le connaissions. Il ne s’agissait pas de lui, mais de son empreinte. Repetition d’un fragment de temps que nous etions les seuls a revivre quand nous aurions voulu l’ignorer. Il aurait suffi a mon pere de prononcer son prenom, Aaron, pour qu’il cesse de se tenir a l’ecart et nous hanter. La nuit l’accompagnait. Son odeur de berge humide et d’herbe defraichie s’affaissait en moi. Nous la percevions dans l’angle mort de notre regard, penetrant le jour par capillarite. Une partie de la plantation s’y enfoncait. Elle progressait derniere nous, s’insinuant sous nos pas, poursuivant la silhouette de mon grand-pere incarceree au ressac du passe. Elle lui servait de decor, perpetuant les memes gestes, le meme chaos. Un crepuscule immuable pesait sur nos epaules. Elle venait avec son bruissement d’ajoncs aiguises contre ma nuque. Le sol haletait sous mes semelles. Le sol spasmodique comme un battement d’angoisse. La main de mon pere parut se dissoudre dans la mienne. Tout s’accomplissait. La scene se presenta de nouveau, submergeant un instant la lumiere.
Aaron avait choisi la branche la plus haute d’un des oliviers les plus anciens de la propriete. Il s’etait avance dans la penombre, marchant lentement dans la travee, sur le sol recouvert d’herbes brulees, traversant des nappes de brume a peine blanchie par un quartier de lune enfonce dans la partie la plus obscure du ciel, tandis qu’a l’est une bande de lumiere tenue doublait deja les collines. Il s’etait place a la verticale de la branche, avait leve la tete vers la ramure, l’enchevetrement des milliers de petites feuilles oblongues contre la nuit. L’arbre ne se trouvait qu’a quelques metres en contrebas de la remise en bois dans laquelle il s’etait amenage un bureau. Il etait venu s’asseoir sous la branche des centaines de fois pour fumer ou attendre la fin du jour. Il avait longe d’un regard le dos aveugle de la remise sur lequel figurait son nom : Cabrera, qu’il avait fait peindre par l’un de ses ouvriers.