Skip to content Skip to sidebar Skip to footer

Autant en emporte la femme

Auteur : Erlend Loe

Traducteur : Jean-Baptiste Coursaud

Date de saisie : 20/03/2008

Genre : Romans et nouvelles – etranger

Editeur : 10-18, Paris, France

Collection : 10-18. Domaine etranger, n 4112

Prix : 7.90 / 51.82 F

ISBN : 978-2-264-04302-3

GENCOD : 9782264043023

Sorti le : 20/03/2008

Acheter Autant en emporte la femme chez ces libraires independants en ligne :
L’Alinea (Martigues)Dialogues (Brest)Durance (Nantes)Maison du livre (Rodez)Mollat (Bordeaux)Ombres Blanches (Toulouse)Sauramps (Montpellier)Thuard (Le Mans)

  • Les presentations des editeurs : 20/03/2008

Quand Marianne s’installe sans crier gare dans l’appartement du narrateur, la vie de ce dernier prend un tour bien singulier. Peu a peu, il voit les decisions lui echapper, sans trouver quoi que ce soit a y redire. Il se laisse porter, exterieur a sa propre existence, a la maison comme en voyage, dans leur Norvege natale ou sur les routes d’Europe. Marianne prend les initiatives, decide de tout. Mais l’a-t-il au moins choisie ? Rien n’est moins sur… Un hymne a l’humour absurde sur l’amour et l’incomprehension, la difficulte et le bonheur d’etre deux.

Erlend Loe manie un humour diabolique, fait de situations aussi absurdes qu’ordinaires. Mais c’est sa voix qui touche et emeut. Sa maniere honnete et radicale de commenter amour et desamour, disputes et incomprehensions, elans et malentendus. Sa conception fraternelle du monde. Du commerce equitable, en quelque sorte.

Genevieve Brisac, Le Monde 2

Traduit du norvegien par Jean-Baptiste Coursaud

“Domaine etranger” dirige par Jean-Claude Zylberstein

  • Les courts extraits de livres : 20/03/2008

1) C’est a cette epoque qu’elle se mit a venir plus souvent. Le soir, juste avant que j’aille me coucher. Elle s’asseyait, puis elle parlait. Toujours des memes choses. De la tranquillite qu’elle aimait tant, du bien-etre que constituait le simple fait d’etre seul. Et elle parlait. Et elle n’en finissait pas. Il arrivait que je pique du nez, que j’aie de courts instants d’absence. Elle ne le remarquait pas. Je me reveillais, chaque fois avec un leger sursaut, parfois meme en emettant un petit bruit, du fond de la gorge.
Quand je retrouvais mes esprits, je decouvrais qu’elle parlait toujours. De cette merveilleuse tranquillite que deux personnes peuvent eprouver ensemble, de cette infinie delicatesse qu’une personne est en mesure de ressentir pour l’autre et de lui temoigner. L’harmonie. Voila de quoi elle parlait. La communication. Mais elle parlait si vite. Et j’avais si peu l’occasion de dire, excuse-moi, qu’est-ce que tu viens de dire ? Assis dans mon fauteuil, j’approuvais, d’une ecoute manifestement intense, par des hochements de tete silencieux et un tantinet formels. Ca, c’est certain, disais-je, avec force mouvements de tete appuyes, le ciel et l’ocean, oui, bien sur. Et je la regardais. Ses jambes, puis ses levres. De belles levres, de tres belles levres. Je savais tres precisement quand elle s’appretait a chercher mon regard pour me retrouver ailleurs que dans cette avalanche de mots. La, mon regard etait pret, cale, un poil en avance sur elle. Comme qui dirait dans l’expectative. Elle se menageait de longs intervalles entre chacun des instants ou elle avait besoin de mes yeux pour pouvoir continuer. J’avais fini par les apprendre, ces intervalles. Il m’avait fallu, allez, cinq soirees pour y arriver, environ. Enfin bon, je ne tenais pas de comptabilite non plus, hein.

2) Un soir, elle arriva plus tard que d’habitude. Je m’etais couche. A toute vitesse, je m’emparai du premier slip qui me tomba sous la main. Lequel se revela le plus vicieux d’entre tous mes slips. Sans elastique au niveau des hanches, ou quasi. Pour ainsi dire une jupe, dans la pratique. Je devais sans cesse redoubler de vigilance, m’asseoir dans des positions particulieres, surtout ne pas me lever d’un bond. Nonobstant, j’estimais cette tenue nettement moins malencontreuse que le port d’un calecon long. Pareil sous-vetement aurait en effet pu etre interprete par elle comme un signe l’autorisant a rester, comme un sous-entendu selon lequel je n’avais pas l’intention de dormir, oui, comme le signal d’une nuit pour moi sans limites ni fin.
Frappe par la justesse de cette decision, je realisais, dans le meme temps, combien la difference entre un etre humain en slip et un etre humain en calecon long est colossale, sinon incommensurable. Vetu d’un calecon long, on est pret a tout. Aucune action n’est impensable. En slip, en revanche, on est libre. Il serait bien difficile, par exemple, de proposer a un homme en calecon long d’aller se promener au beau milieu de la nuit, suggestion qui du reste ne m’aurait pas surpris venant d’elle.
Elle s’asseyait dans le fauteuil habituel, toujours le meme. Au plus pres du cendrier. Et comme d’habitude, elle disait combien elle appreciait la tranquillite, qui signifiait tant pour elle, certainement beaucoup plus que ce que j’etais en mesure d’en comprendre. J’approuvais d’un hochement de tete. Apres quoi, elle embrayait sur son pere. Ils entretenaient des relations execrables tous les deux, disait-elle. Puis elle detaillait ce que son pere avait fait et dit, n’avait pas fait et n’avait pas dit pendant de longues periodes de sa jeunesse. Je m’etais certainement assoupi (j’ai toujours tellement de mal entre deux et trois heures du matin), car je me souviens de m’etre reveille en sursaut avec les bribes d’un incident particulierement determinant, datant de son enfance. Elle en etait au coeur de l’histoire.
Ce qu’elle me racontait me scandalisa, aussi, pas mecontent de pouvoir enfin lui donner la replique, je lui confiai que c’etait la chose la plus horrible que j’avais jamais entendue, et lui conseillai de prendre son pere a partie et de jouer cartes sur table. Le plus tot serait le mieux. Lui rentrer dans le lard, carrement. Seigneur ! Elle etait tout de meme majeure et vaccinee, dis-je. Il fallait qu’elle regle ses comptes avec cet homme qui lui faisait office de pere. Elle devait le contacter seance tenante, oui, decidement, peut-etre meme des le lendemain. Qu’attendait-elle ?