Auteur : Maurice Duron
Illustrateur : aquarelles de Christophe Verdier
Date de saisie : 19/12/2007
Genre : Recits de Voyages
Editeur : Marines, Rennes, France
Prix : 20.00 / 131.19 F
ISBN : 978-2-915379-89-1
GENCOD : 9782915379891
Sorti le : 13/11/2007
- Les presentations des editeurs : 20/12/2007
C’EST UN BOUT DE MONDE, le bout d’un Monde. Avant, il y a la terre, beaucoup de terre, un continent. Apres, il y a l’Ocean… et l’Amerique. Vivre en pays d’Iroise, c’est forcement etre a la fois rescape et conquerant, c’est s’adapter tout autant que dompter.
La vie dans la pointe bretonne tourne autour de quelques amers remarquables, et Maurice Duron nous les fait decouvrir, quelque part entre la Pointe du Raz et Audierne. On croit entrer dans la vie d’un habitant de la Pointe, et l’on decouvre que c’est la notre – reelle ou revee – qui se deroule au fil des pages. La plume se fait impressionniste, et le pinceau de Christophe Verdier met en formes et donne des couleurs a ces moments de vies. L’un et l’autre se completent, s’associent et se fondent en un portrait attachant et fort, nous faisant partager leurs visions, leurs emotions, leur complicite.
- Les courts extraits de livres : 20/12/2007
La maison
C’est ici. La nuit, aux petites heures, les sortileges nous encerclent. Impassible, la maison reste sur ses gardes…
C’est un paradoxe comme je les aime : chacun connait la celebrissime Pointe du Raz, mais tout le monde ignore le Cap Sizun qui la porte. La Pointe n’est pourtant qu’une infime extension du Cap, obstinement pointee vers le large. Le Cap, c’est la que j’habite.
Ce qui me plait ici, c’est la simplicite.
Un petit chemin entaille la micro falaise et glisse jusqu’aux galets. Le soir, c’est un bon endroit pour observer la mer.
La cote est basse, herissee de chicots qui devalent jusqu’a l’eau. Pathetiques, ils attendent ; ils sont sans regret et sans ambition. Les caps majeurs sont ailleurs, dans l’ouest, invisibles et forts ; ceux-la tiennent. Ici, la fin de la terre se fait modeste ; ses promontoires s’eliment sous l’averse, resignes depuis longtemps. Ils vont ceder un jour ou l’autre.
A gauche se dessine la volute d’or des longues plages, lointaines, toujours brumeuses. Le sable s’adosse aux levees de galets qui contiennent les etangs. Les eaux sont masquees, invisibles dans les roselieres, mais je devine tout. Au bout, le phare d’Eckmuhl marque la limite du regard et celle de la baie.
Toute la force du paysage se tient la. C’est sa retenue qui est grandiose, pas l’anecdote ; d’ailleurs, ici, il n’y a pas d’anecdote, l’austerite generique ne s’en accommoderait pas.
Le seul avertissement vient de la Gamelle, ce recif ou dit-on, jadis etait une ville. Sa bouee sifflante appelle. Mais personne n’entend, on n’en retient que des naufrages pudiques, seulement portes sur les cartes marines, et cette etrange couleur de la mer, les soirs de calme plat.
J’aime cette discretion formidable.
Parfois meme, tant de sauvagerie contenue m’effraye, surtout dans les soirees ecarlates. L’equilibre est precaire, je le sais. Pour me rassurer, je guette, immobile, les premieres lueurs des feux maritimes.
Et puis non, elles tardent trop, je rentre.
Au haut du petit raidillon, l’herbe pousse drue, avec des chardons piques dedans. Tandis que je monte, le poids de l’ocean me presse dans le dos. Le vent tourne. Je devrais me hater, mais je flane.
Ca y est ! Eckmuhl vient de s’allumer, puis Lervily, Raoulic, la bouee… Les choses se cadrent, la baie se reforme, je m’y retrouve. Tout est en ordre, je peux revenir tranquille.
La rue gravit ce qui fut une dune; il y a quatre maisons posees la, une seule est eclairee, la notre. Je m’arrete pour savourer le coup d’oeil. Decidement, la beaute du monde n’est pas que dans le pittoresque. L’ordinaire aussi peut surprendre, mais tout ceci est-il vraiment banal ? Ce que j’eprouve a cet instant reste incommunicable.
Le grain me rattrape a mi-cote ; il est monte du noroit comme d’habitude ; la mer demeure claire, passera-t-il sur les terres ? Je presse le pas. Au moment ou je pousse la porte, l’averse me saisit, m’enveloppe, m’emporte. Quelque chose a craque, la haut, dans le ciel, on me parle a l’oreille. Eperdu, j’entre. Ils sont tous la.
Tout a l’heure, avec Baptiste, nous irons pisser dans la tempete.