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Comme un champ lave par la neige

Auteur : Sophie Grenouilleau

Date de saisie : 30/09/2008

Genre : Romans et nouvelles – francais

Editeur : MLD, Saint-Brieuc

Collection : Breche

Prix : 13.00 / 85.27 F

ISBN : 978-2-917116-02-9

GENCOD : 9782917116029

Sorti le : 20/06/2007

  • Les presentations des editeurs : 17/09/2008

Le meilleur pour elle, c’etait le moment precis ou elle prenait un couteau et qu’elle emincait la viande, les carottes, le poireau, les pommes de terre ou n’importe quoi d’autre, retrouvant a chaque fois une jouissance incomparable; c’etait comme a extraire les foies des volailles, a oter le paletot gras des canards, a plumer les petites cailles, a les flamber, a torcher son assiette en lechant jusqu’a ses doigts, a saisir le bifteck dans la poele et le deglacer au vin, a petrir la farine et le beurre, a etirer la pate sur les doigts, a enfoncer du bout du doigt la gousse d’ail dans la rouelle – elle sentait bien qu’a table, c’etait la ou tout se tramait. Elle savait quoi faire quand elle etait devant un jambon cru, elle se laissait envahir de plaisir, respirait, transpirait, laissait l’animale venir et repartir en elle. Et a table, c’etait pareil, elle ne voulait que du plaisir, dans les doigts, dans les bouches, dans les yeux. Et ca brillait a chaque fois, dans les yeux et sur les levres des gens attables, ca se laissait aller, ca mangeait, ca se sucait les doigts sans y faire attention. C’etait simple, ca faisait du bien.

Sophie Grenouilleau est nee en 1083. Diplomee de l’Ecole Superieure d’Arts, elle a illustre Crobards et Mounieques de Bernard Moreau (L’ldee bleue, 2005) et vit au rythme de la ferme de la Saulnerie, en Maine-et-Loire.
Comme un champ lave par la neige est son premier livre publie.

  • Les courts extraits de livres : 17/09/2008

Au depart, elle avait cru que ca lui permettrait de payer ses paquets de cigarettes, meme si ca ne devait servir qu’a ca, c’etait toujours ca de pris. C’etait juste danser. Danser pour un fou. Un soir par semaine. Il lui disait danse pour moi, Catherine, et elle dansait dans un atelier sinistre, en robe rouge, une robe toujours la meme qu’il lui faisait enfiler juste avant la seance. Elle gagnait de l’argent et elle revenait.
Il etait peintre professeur aux Beaux-Arts, fascine par les danseuses. Ses contemporains tatouaient des peaux de cochon, detruisaient des portraits a la carabine, hybridaient des clones, decoupaient des betes en deux, agrandissaient des lapins fluos, filmaient sans fin des choses qui n’avaient pas de sens; lui en etait encore au dessin, pur et dur, originel – primitif.
Il ne sortait jamais de chez lui sauf pour aller a l’ecole deux fois par semaine, il mangeait fort peu et mal, buvait, fumait; une vie fruste et ce besoin de dessiner qu’il tachait de combler. Il vivait avec pas grand chose, conscient du monde et en meme temps completement isole de lui, taraude par l’ennui. Il lui passait toujours une musique tzigane, c’etait simple, c’etait la meme a chaque fois, comme s’il n’avait que ce disque, alors elle virait et elle tournait, c’etait tout, ca durait des heures. Il la fixait longuement avant de dessiner, habite par son souci du realisme, et s’y mettait d’un seul trait, d’un seul jet, avec une simplicite d’enfant. Le dessin bougeait dans tous les sens, a se disloquer, avec detresse ou egarement, il y avait quelque chose d’animal, ou quelque chose qui ressurgissait de loin, et il achevait tout cela par une grosse tache rouge qui vous traversait, qui vous remettait dans le monde. On ne voyait plus que le rouge de la robe et la peau. Il etait honnete, il la payait chaque soir pour la regarder danser et la capturer sur le papier comme si elle traversait le temps et la solitude. Il avait toujours peur qu’elle ne revienne plus poser pour lui, alors il la dessinait comme si c’etait la derniere fois a chaque pose, quitte a laisser toutes ses forces, quitte a en devenir sterile.

Ce soir-la gache tous les autres. Il va chercher le cafe et lui tend une tasse fumante.
– Tu veux manger un peu ?
– Non.
Il ne trouve rien d’autre a dire, finit son cafe et la bascule sur le lit, se lache sur elle qui se laisse faire en disant qu’elle se doutait bien qu’il finirait par avoir l’idee. Il s’ecarte, echouant lamentablement a cote d’elle. Elle se rajuste, il l’observait : elle avait une belle taille, les hanches epaisses ; a la fin de l’adolescence, elle avait a peine vingt ans, elle n’etait plus une gosse. Elle en est degoutee.
– Tu peux danser encore ? Sinon, on peut faire une pose de dos. Ou tu peux partir.
Elle hausse les epaules, rondes elles aussi. Il se dit qu’avec l’age elle serait encore plus belle, mieux remplie, mais il lui manque quelque chose.
– Tu me payes. Alors si tu veux que je danse, je le fais.
– Dis-moi, Catherine. Pourquoi te moques-tu de l’amour ?
– Ca sert a quoi ?
Elle se plante au milieu de la piece, il remet la musique. Pour la premiere fois, c’est un autre morceau, Indifference, une valse musette jouee par un gitan. Il attend qu’elle se remette a danser.

Soleil rouge du matin dans le brouillard. Catherine et sa soeur Constance etaient parties a bicyclette dans leur coin de campagne. Une campagne plate comme une planche de contreplaque entre quelques bouts de coteaux. La terre etait gelee, dure sous les semelles. De grosses vaches blanches mangeaient dans le froid decouvert. Le vent etait tombe, c’etait plus doux, mais le brouillard persistait, a tetaniser les doigts. La campagne ne s’etait pas remise de la nuit maussade et tirait une sale gueule; ca puait l’humidite a tuer un homme.