Auteur : Jose Maria Eca de Queiros
Traducteur : Marie-Helene Piwnik
Date de saisie : 10/05/2008
Genre : Romans et nouvelles – etranger
Editeur : la Difference, Paris, France
Collection : Litterature etrangere
Prix : 25.00 / 163.99 F
ISBN : 978-2-7291-1744-3
GENCOD : 9782729117443
Sorti le : 17/04/2008
- Les presentations des editeurs : 17/09/2008
Ne a Povoa de Varzim, petite ville du Nord du Portugal, en 1845, Eca de Queiroz fut consul a Paris de 1888 jusqu’a sa mort, en 1900, a Neuilly. L’oeuvre de cet immense ecrivain (” un des plus grands de tous les temps “, d’apres Jorge Luis Borges), amoureux de la France, est de plus en plus prisee par les lecteurs francais.
Sont ici rassembles pour la premiere fois les contes et nouvelles que Eca de Queiroz a publies au cours de sa vie dans les differents journaux et revues avec lesquels il collaborait au Portugal et au Bresil. Ce qui frappe, c’est la variete et la diversite de son talent. Toutes les tonalites du conte sont exploitees ; il y a des nouvelles realistes, des contes fantastiques, des histoires folkloriques divertissantes qui recomposent la legende ou l’hagiographie, des fables humoristiques sur le passe de l’humanite qui revisitent la Bible ou la mythologie.
Grace a cet ensemble – meme les ecrits de jeunesse ont ete traduits -, on decouvre la richesse du talent du grand romancier portugais qui se montre, dans ce genre exigeant, l’egal des grands maitres, Flaubert, Maupassant, Zola ou Poe.
- Les courts extraits de livres : 17/09/2008
UNE SINGULIERE JEUNE FILLE BLONDE
Il commenca par me dire que son cas etait simple -et qu’il s’appelait Macario.
Je dois expliquer que j’avais fait la connaissance de cet homme dans une auberge du Minho. Il etait grand et gros, avait une calvitie prononcee, luisante et lisse, avec des meches blanches herissees en couronne ; et ses yeux noirs, a l’entour fripe et jauni, aux cernes gonfles, etaient doues d’une singuliere clarte et d’une grande rectitude, derriere ses lunettes rondes cerclees d’ecaille. Son menton rase etait saillant et volontaire. Il portait une cravate en satin noir agrafee par-derriere, une longue veste couleur pignon, aux manches etroites et ajustees et aux parements de velours. Et de l’echancrure profonde de son gilet de soie, ou brillait une chaine ancienne, s’echappaient les plis legers d’une chemise brodee.
On etait en septembre : les nuits tombaient plus vite, penetrees d’une fraicheur subtile et seche, d’une obscurite grandiose. J’etais descendu de la diligence, fatigue, affame, grelottant dans un plaid a rayures ecarlates.
Je venais de traverser les montagnes et leurs parages sombres et deserts. Il etait huit heures du soir. Les cieux etaient lourds et sales. Et, que ce fut un certain engourdissement cerebral engendre par le roulis monotone de la diligence, ou une faiblesse nerveuse due a la fatigue, ou l’influence du paysage montueux et uniforme, dans le profond silence nocturne, ou encore l’electricite oppressante qui chargeait les hauteurs, le fait est que j’etais, moi qui suis d’un naturel positif et realiste, tyrannise par mon imagination et mes chimeres. Il existe au fond de chacun d’entre nous, c’est certain, pour froidement eduques que nous le soyons, un reste de mysticisme ; et il suffit parfois d’un paysage lugubre, du vieux mur d’un cimetiere, d’une lande ascetique, des blancheurs emollientes d’un clair de lune, pour que ce fonds mystique remonte, s’etale comme un brouillard, emplisse l’ame, la sensation et l’idee, et que l’esprit le plus mathematique, le plus critique, devienne aussi triste, aussi visionnaire, aussi idealiste, qu’un vieux moine poete. Moi, ce qui m’avait jete dans la chimere et dans le songe, c’etait l’aspect du monastere de Rostelo, que j’avais vu, dans la clarte douce et automnale de l’apres-midi, sur sa paisible colline. Alors, tandis que la nuit tombait, que la diligence roulait, roulait, au trot efflanque de ses maigres chevaux blancs, et que le cocher, la capuche de sa pelerine enfoncee sur la tete, machonnait sa pipe, je m’etais mis elegiaquement, ridiculement, a considerer la sterilite de la vie ; et je desirais etre un moine, vivre dans un couvent, tranquille, parmi les arbres, ou au creux d’une bruissante vallee, et, tandis que l’eau du cloitre chantonne dans les bassins de pierre, lire l’Imitation et avoir, en ecoutant les rossignols chanter dans les lauriers, la nostalgie du ciel. On ne peut etre plus stupide. Mais j’etais ainsi, et j’attribue a cette disposition contemplative mon absence de jugement, et l’emoi que me causa l’histoire de cet homme aux parements de velours. Ma curiosite commenca au diner, alors que je detachais les blancs d’une somptueuse poule au riz, accompagnee de belles tranches vermeilles de saucisson de pays, et que la servante, une petite grosse couverte de taches de rousseur, faisait mousser le vin vert dans mon verre, en le versant du haut d’une cruche en faience ; l’homme etait en face de moi, mangeant tranquillement sa confiture en gelee ; je lui demandai, la bouche pleine, ma serviette en lin de Guimaraes entre les doigts, s’il etait de Vila Real.
– C’est la que j’habite. Depuis fort longtemps, me dit-il.
– Un pays ou les femmes sont belles, que je sache, dis-je.
L’homme resta silencieux.
– Pas vrai ? repris-je.
L’homme se renferma dans un mutisme compact. Jusque-la il s’etait montre jovial, n’hesitant pas a rire franchement, loquace et plein de bonhomie. Mais des lors il figea son fin sourire.
Je compris que j’avais blesse a vif quelque souvenir. Il y avait assurement dans le destin de ce vieil homme une femme. La etait son melodrame, ou sa farce, car inconsciemment je me persuadai que son aventure, son cas devait etre grotesque et meriter le sarcasme.