Auteur : Julian Rios
Date de saisie : 20/12/2007
Genre : Romans et nouvelles – etranger
Editeur : Tristram, Auch, France
Prix : 17.00 / 111.51 F
ISBN : 978-2-907681-64-3
GENCOD : 9782907681643
Sorti le : 03/01/2008
- Les presentations des editeurs : 16/01/2008
Tamoga est une bourgade espagnole de bord de mer, proche de la frontiere portugaise, cernee par l’eau stagnante des marecages.
Le temps s’y ecoule lentement. Comme par fatalite, les fantomes du passe semblent y roder plus durablement qu’ailleurs. Et les personnages esseules, les etrangers en perdition venir s’y echouer plus facilement.
Au point que leurs histoires – amour, argent, trahison, vengeance -, plus troublantes et deleteres les unes que les autres, scrutees, racontees, relancees a travers le temps par la voix collective des habitants de Tamoga, paraissent constituer l’unique realite, et comme la substance meme, de ce pays de nulle part.
Ecrit par Julian Rios a la fin des annees 60, dans l’atmosphere etouffante du franquisme, avant sa grande periode moderniste et une vie de voyages, publie pour la premiere fois aujourd’hui simultanement en Espagne et en France, Cortege des ombres bouleverse la perception de l’oeuvre d’un des maitres de la litterature espagnole contemporaine. On y decouvre le conteur – creant des son premier livre un univers de personnages inoubliables.
Julian Rios est ne en 1941. Pour Carlos Fuentes, il est l’ecrivain le plus inventif et le plus creatif dans la langue espagnole. Quant a l’Encyclopaedia Britannica, elle le definit deja comme un classique moderne : La prose espagnole la plus tumultueusement originale du siecle. Heritier de la trinite fondatrice du roman moderne (Rabelais, Cervantes, Laurence Sterne), proche que Joyce, Nabokov, Arno Schmidt, Italo Calvino ou Georges Perec, Julian Rios a ete introduit en France par les Editions Jose Corti. Il a rejoint en 2007 les Editions Tristram avec Nouveaux Chapeaux pour Alice et Chez Ulysse.
- Les courts extraits de livres : 16/01/2008
Tout ceci survint a la fin du mois de septembre, alors que commencait a s’insinuer la lethargie automnale, que les heures deja s’ecoulaient plus lentes, et que le temps semblait se mettre en stagnation comme les tristes eaux des marecages de Tamoga.
Un voyageur de commerce, dirent ou penserent, sans plus, tous ceux (gent morfondue et desoeuvree) qui a la tombee du jour se rassemblaient a la gare, en considerant l’enorme valise et ensuite le petit homme gitant comiquement qui tachait de la trainer sur le quai. Un scarabee bousier, plaisanta quelqu’un du groupe, pour relancer une conversation mourante. Ils le regarderent encore quelques instants et personne ne voulut plus se deranger a rajouter un mot, legerement nostalgiques, tous, d’avoir vu s’evanouir le train dans l’interminable pluie.
Cet homme, cet etranger, peut-etre ne sut-il jamais lui-meme pourquoi il avait choisi cette ville. Ou bien ne la choisit-il pas en realite : ce fut le hasard, le destin, ce fut sa bonne ou sa mauvaise etoile, la fatalite de l’instant.
Nous sumes ensuite qu’il avait donne rendez-vous au bourg a une femme et que celle-ci – jeune encore, assez jolie, un air de jeune veuve – etait sa belle-soeur; on connut grace a Cardona, le commissaire, le recit de la fuite, l’abracadabrant episode amoureux; on apprit aussi (elle, la belle-soeur, s’etait laisse confesser longuement par le commissaire, affligee mais sereine, orgueilleuse de son amour, docile et finalement incredule, indifferente desormais a tout et a tous) qu’il se nommait Mortes et qu’il etait representant de commerce, qu’il allait feter ses cinquante ans, qu’il etait marie, avait cinq fils, un passe irreprochable, rien que de classique et d’anodin, deprimant. Et cependant, il semble bien que lui, Mortes, l’homme le moins mysterieux du monde, soit venu dans cette bourgade dans l’unique but de nous proposer une charade apparemment absurde.
Pour nous autres, pour notre curiosite, tout commenca un mardi de septembre, au debut de l’automne, le jour de son arrivee. De la fenetre du wagon de seconde classe, Mortes devait observer le quai fouette par la pluie, le panonceau decolore avec son T et son M presque effaces et qui disait etrangement A OGA, comme qui dirait N OIE, il devait observer un horizon brouille de nuages et de toits. Il dut penser, alors, que cette ville etait suffisamment triste pour ses desseins. Il est probable egalement que ce qui le poussa a descendre au dernier moment ce fut la fatigue, la lassitude, la certitude aussi de n’avoir jamais ete auparavant dans cette localite ; la garantie de n’etre pas reconnu, de n’avoir jamais roule par les rues de Tamoga son inseparable valise de cuir, de n’avoir jamais exhibe dans ses commerces son sourire professionnel ; et aussi l’assurance et le soulagement de savoir qu’ici jamais il ne s’etait accoude a aucun comptoir aupres de l’inevitable vieille fille, pour lui parler ceintures et boutons avec la passion contenue et l’air clandestin de celui qui fait une proposition malhonnete. Il est aussi vraisemblable qu’il ait ete attire par la situation de cette petite ville, la proximite de la frontiere (ceci nous en viendrions a le soupconner ensuite quand la femme arriva), peut-etre compta-t-il depuis le commencement sur la stupidite et la curiosite collectives, sur notre manque de perspicacite, meme si aucune de ces conjectures ne permet d’expliquer la fin de l’histoire, si encore celle-ci doit en avoir une. On ne peut pas non plus ecarter l’hypothese qu’il fut fou ou affole. Ou peut-etre qu’il se prit lui-meme a son propre jeu, a son mensonge impossible auquel il voulut croire.