Cuisine : le cahier retrouve de soeur Marie M. revisite par des chefs d’aujourd’hui

Ce cahier des annees quarante revele les secrets culinaires d’une humble religieuse du Sud-Ouest.

Au menu de ce recueil de saveurs, quelques pincees de principes de Soeur Marie M. : on cuit toujours trop, le froid, ca abime… Une bonne dose d’ingeniosite et de douceur, plus un zeste de frisson gourmand… pour essayer les tomates a la carmelite, le souffle a la citrouille, les navets aux pates, les sardines turques et autres gateaux de vermicelle, pains coloniaux ou beignets de bouillie.

La regle du peu, compliquee par la guerre, inspire ces recettes ou les trouvailles compensent le manque de moyens. Mais les annees n’ont pas reussi a demoder ce vieux cahier capable d’etonner nos grands cuisiniers actuels ou de rejouir nos plus surs cordons-bleus.
Une trentaine d’entre eux se sont penches, admiratifs et bienveillants, sur ce texte inedit pour l’eclairer.

Jean-Paul Abadie Bernard Bach Alex Borct Thierry Bougoin Alain Bouvier Michel Bras Michel Bruneau Claude Calas Georges Camuzet Andre Daguin Jacques Dcclercq Gerard Garrigues Laure Goulard Maryse Gourdon Marc Haebcrlin Thierry Landron Jean Lcnoir Eric Mariottat Marc Meneau Bernard Pacaud Jean-Claude Plazzotta Philippe Rabatel Gerard Roucaries Jacqueline Roynard Jean-Benoit Serres ClaudeTaffarello Frere Thomas Jacques Thorel YvcsThuries Philippe Urraca Lucien Vanel

Marie M.

Soeur Marie M., quel drole de nom ! M. pour Marcelle ? Martine ? Monique ? Et pourquoi pas Murielle ? Non ! Ce sera soeur Marie M. puisqu’elle se fiche bien qu’on parle d’elle. Marie M. s’est retiree du siecle. Dans sa congregation du Sud-Ouest de la France, Marie M. a trois passions : l’oeuvre de Dieu, son potager et sa cuisine. Il etait une fois, juste apres la Grande Guerre, une orpheline de six ans venue d’Espagne qu’une soeur de la Congregation toulousaine Notre-Dame de la Compassion decouvre a quelques pas du Capitole. On ouvre la porte a l’enfant. Elle y dort, elle y vit, elle y prie. Elle y cuisine aussi. Novice a 15 ans, Marie M., entre matines et vepres, arpente desormais les cuisines du cloitre a la recherche de saveurs justes malgre le peu, voulu par la Sainte Regle. Viennent l’autre guerre et ses horreurs silencieuses. Dans les sous-sols du couvent toulousain, on recueille des juifs ou des republicains espagnols. Et vient la trahison. Sur ordre de l’occupant, la superieure et sa cuisiniere, Marie M., quittent Toulouse pour une maison annexe d’un bourg de Gascogne d’ou Marie M. n’a plus bouge.

Dans cette maison de la Compassion, une salle est reservee a l’ecole menagere pour les jeunes filles du village. Infatigable donneuse, Marie M. s’attelle aux lecons de cuisine. Sur son cahier, jour apres jour, elle inscrit les recettes apprises qu’il faudra repeter.
Rien que des legumes, certes, et beaucoup de desserts baroques pour faire rire la vie. C’est la regle du peu, compliquee par la guerre. Les trouvailles compensent le manque de moyens.
Les annees, d’ailleurs, n’ont pas reussi a demoder ce vieux cahier capable d’etonner nos grands cuisiniers actuels ou de rejouir nos plus surs cordons-bleus. Ce qui fait sourire Marie M. qui, desormais, aspire juste a s’en aller doucement.
L’oeil droit de Marie M. n’y voit plus beaucoup aujourd’hui.
Le gauche est fatigue aussi, mais moins. Espiegle, Marie M. vous dira qu’elle s’en moque. Ce sont des yeux qui vous badent, joyeux, avec par-dessus des cheveux trop fins pour oser les toucher. Dix doigts compensent a merveille cette vue qui s’endort quand s’estompent aussi les envies de voyages. Aujourd’hui, le chemin de Marie M. ne va presque plus que de la chapelle a sa chambre ou bien a sa cuisine d’ou part une porte, sa porte, qui mene au potager.
Les mains rares de Marie M. suffisent a tout cela.