Darwin viendra-t-il ?

Oxford, samedi 30 juin 1860 : quelques mois apres sa publication retentissante, L’Origine des especes doit etre soumise a la critique de l’Eglise anglicane et de l’Academie des sciences, toutes deux hostiles a la theorie de la selection naturelle.
Le debat, minutieusement prepare par l’Association britannique pour le developpement des sciences, s’annonce agite. Cette premiere grande mise en scene reunit pres de mille personnes autour du livre de Darwin. Toutes les personnalites scientifiques, politiques, ecclesiastiques et artistiques du royaume seront presentes. Il en vient aussi d’Amerique et de toute l’Europe.
Darwin, l’auteur du livre, viendra-t-il en personne ? Ses allies sont rares…
Cent cinquante ans plus tard, les nouvelles peripeties du creationnisme et de l’Intelligent Design rendent une surprenante actualite a ce desormais legendaire Debat d’Oxford.

Medecin generaliste et tropicaliste, Luc Perino, apres avoir exerce en Afrique, en Chine et en France rurale, partage aujourd’hui son temps, a Lyon, entre l’exercice medical, l’ecriture et l’enseignement. Pour le grand public, il a deja ecrit : le Bobologue (J’ai lu, 2001) et Carnets de sante (Calmann-Levy, 2004).

John Phillips a l’habitude de se lever avant l’aube, il commence par faire un tour dans le parc du musee pour laisser la rosee matinale d’Oxford impregner sa peau. Il aime cette ville plus que toute autre. Il a apprecie sa vie a York et a Dublin, mais ici – peut-etre l’age – les pierres lui parlent comme jamais elles ne l’ont fait. Au cours de sa promenade matinale, ce tres serieux conservateur des deux musees de la ville, laisse volontiers flaner son esprit, une sorte de vacance cerebrale dans son monde austere de classifications et de rangements. Il se persuade, par exemple, que les pierres possedent des saveurs volatiles, qui, transportees par les brumes, viennent impregner ses papilles gustatives. Petit-dejeuner de calcaire et de granit avant d’aborder cette journee de travail qui s’annonce encore plus chargee que les autres en raison des ultimes preparatifs pour la semaine prochaine.
La plus excitante et la plus angoissante de sa vie.
John Phillips, ne avec son siecle, avait cinquante-trois ans lorsqu’il est arrive a Oxford pour assister William Buckland, puis lui succeder, a sa mort, trois ans plus tard en 1856. Prendre la suite d’un tel homme etait un honneur et une gageure. Buckland etait l’un des plus grands paleontologistes et geologues du royaume et l’un des fondateurs du Catastrophisme, theorie expliquant les formations geologiques par une serie de cataclysmes comme le Deluge biblique. Detruisant, du meme coup, de nombreuses especes animales. Une des preuves de cette theorie etait la decouverte de nombreux fossiles d’especes a jamais disparues. Or, chacun savait que l’arche de Noe avait sauves presque tous les animaux… La science avait le devoir d’elucider cette etrangete en desaccord avec la Bible…