Auteur : Marie Rameau
Preface : Claire Andrieu
Date de saisie : 10/07/2008
Genre : Histoire
Editeur : Autrement, Paris, France
Prix : 20.00 / 131.19 F
ISBN : 978-2-7467-1112-9
GENCOD : 9782746711129
Sorti le : 03/03/2008
- Les presentations des editeurs : 11/07/2008
C’est un melange d’In Memoriam et de carnet de voyage, un album de souvenirs croises qui melent des recits de resistantes et des notes de rencontre de l’auteure avec celles-ci, observations et conversations consignees qui sont autant d’etapes d’un periple qui n’aurait pas de raison de s’arreter. claire Andrieu
Trente temoignages de femmes qui, pour des raisons politiques ou tout simplement parce qu’elles ne supportaient pas de voir leur pays occupe, ont choisi de resister. Trente photographies qui parlent aujourd’hui d’aventures humaines du temps jadis.
Marie Rameau est photographe independante.
Claire Andrieu, la prefaciere, est professeure des universites en histoire contemporaine a l’Institut d’etudes politiques de Paris.
- La revue de presse Yannick Ripa – Liberation du 10 juillet 2008
Des visages feminins marques par le temps portent-ils les traces d’une vie passee, temoignent-ils de la force de caractere qu’il fallut autrefois pour refuser le nazisme et s’engager dans la Resistance ? C’est cette interrogation inattendue qui a guide le travail de la photographe Marie Rameau. Son objectif a saisi des regards, des sourires, des langueurs, des quietudes, des vivacites de vieilles dames qui conservent en leur memoire, parfois pourtant defaillante, les souvenirs de leur lutte, toujours presentee comme anodine, tant l’heroisation, on le sait, est si peu une posture ordinaire chez les femmes de l’armee de l’ombre.
- Les courts extraits de livres : 02/03/2008
SIMONE LE PORT
Septembre 1983. J’ai quinze ans. Je dois recueillir un temoignage relatif a la guerre de 1939-1945 pour mon cours d’histoire. Mon pere, me voyant dans l’expectative, m’incite a aller voir Simone Le Port : Elle a fait de la resistance, elle te racontera.
Je connais Simone Le Port pour l’avoir regulierement croisee dans la petite ville du Morbihan ou je passe mon enfance. A l’entree de la riviere d’Etel, il y a une passe dangereuse pour les bateaux et donc un semaphore. Tout ce que je sais de Simone Le Port, c’est qu’elle en a longtemps ete la gardienne, avec son mari, Julien.
Quelques jours plus tard, installee dans son salon. Je l’ecoute me raconter sa resistance, son arrestation et sa deportation. Je ne savais pas qu’elle avait ete deportee, je savais a peine ce qu’etait un deporte, je pensais que seuls les juifs avaient ete deportes… Je ne savais rien… Les mots de Simone furent un choc terrible, une agression, au beau milieu de mon adolescence.
Septembre 1999. Les annees ont passe. Ma soeur vient d’acheter la maison voisine de celle de Simone. Si je l’ai souvent croisee, elle ne m’a plus parle de son histoire qu’au hasard de banales conversations, dans des sortes de resurgences, a propos d’autres sujets abordes. Je n’ai plus ose, meme si j’en ai souvent eu envie, lui demander de m’en dire quoi que ce soit.
Je suis devenue photographe, en me posant regulierement la question du choix de ce metier. Je faisais de la photo depuis que j’etais enfant, cette activite s’etait au fil du temps imposee a moi.
J’ai souvent revu Simone, nous parlions dans son jardin, dans sa cuisine, des heures et des heures, buvant d’incroyables quantites de the, a la bergamote, toujours tres leger. Elle s’est mise a me raconter encore et encore, de plus en plus.
Aout 2002. Simone vient d’avoir quatre-vingt-deux ans, elle porte un chemisier blanc. Elle a accepte que je fasse son portrait. Elle est allee chez le coiffeur. Je ne l’avais jamais photographiee, mais, a ce moment-la, cela m’etait devenu necessaire.
Le temps est chaud et ensoleille, elle s’installe sous un arbre dans son jardin, mais tres vite elle en a assez : Ca y est, tu as fini ? Tu vas bien en avoir une de bonne dans tout ca… Je n’ai pas tres chaud, je voudrais me couvrir. Comme toujours, elle a froid. Les feuilles du cerisier font de l’ombre sur son visage, elle regarde ailleurs, je fais une derniere photo et la laisse, avec regret, fuir le soleil pour aller se couvrir davantage. Je range mon materiel et la rejoins dans sa cuisine ; elle a mis de l’eau a bouillir : Veux-tu un the ?
Ce soir-la, nous discutons sur le pas de sa porte. Les soirees d’ete sont longues en Bretagne ; a dix heures, la nuit n’est pas tout a fait la. Des vacanciers allemands remontent la rue a pied ; ils rient, discutent dans la tiedeur du soir. Simone les regarde passer en silence et me dit : Ils n’y sont pour rien… Mais tu vois, c’est au-dessus de mes forces, je ne peux entendre parler allemand sans me sentir agressee. Je ne pourrai jamais…
Janvier 2003, Simone tombe dans la rue et se casse le col du femur. Elle est hospitalisee, les medecins diagnostiquent un debut de maladie d’Alzheimer… La memoire de Simone s’en va, et je n’ai pas eu le temps, pas pris le temps, de tout lui demander, peut-etre n’ai-je pas ose non plus…
Et apres, comment vit-on apres ?
Peut-on oublier ? Est-ce qu’un jour la vie redevient normale ?
Pourquoi devient-on resistante ?
Pourquoi elle, et pas tout le monde ?
Qu’attend-elle de moi, de nous, de ceux qui l’ont ecoutee, ne serait-ce qu’un peu ?
Que voudrait-elle que l’on retienne de son histoire, de l’Histoire ?
Comment vit-on en compagnie de ceux qui n’ont rien fait, rien dit ?