Et le souvenir que je garde au coeur : memoires

Et le souvenir que je garde au coeur

Avec sa joie de vivre, son Truc enplumes et sa voix canaille, Zizi Jeanmaire a fait vibrer plusieurs generations. Elle raconte ses souvenirs, de l’Opera de Paris a Broadway, d’Hollywood a Marseille.

Une carriere de legende – Elle est tour a tour danseuse classique, star de cinema, meneuse de revue, chanteuse, comedienne. Boris Vian, Serge Gainsbourg, Aragon, Barbara et Guy Beart composent pour elle. Le milliardaire Howard Hughes lui propose un contrat mirifique a Hollywood. Elle danse avec Noureev et Barychnikov. Yves Saint Laurent dessine ses costumes pendant pres de quarante ans, inspire par sa presence exceptionnelle.

Un couple unique – Zizi, c’est aussi une incroyable histoire d’amour avec Roland Petit, son ami d’enfance, dont elle partage la vie depuis plus de cinquante ans. Il est son choregraphe, elle est sa muse.

Les Memoires d’une grande dame. Un texte fort, d’une saveur et d’une sincerite immediates.

Elle a des yeux a vider un couvent de trappistes en cinq minutes.
Boris Vian

Sans elle, Paris ne serait pas Paris.
Aragon

Le plus beau des jardins est celui de mon enfance

A l’instant ou j’ai pose la main sur la barre et ou je me suis placee en premiere position, la danse m’a conquise pour la vie.
Mon entree a l’Ecole de Danse de l’Opera de Paris, a l’age de neuf ans, la meme annee, le meme jour et a la meme heure que Roland Petit, a doublement lie mon destin. D’abord a la danse, ensuite a Roland. A moins que ce ne soit l’inverse. Ou, plus simplement, les deux en meme temps.
L’Ecole de l’Opera de Paris est l’une des plus belles institutions de danse classique, cet art dont les Francais furent les precurseurs voici quatre siecles. J’y ai passe dix annees intenses, entierement vouees a cette passion qui m’a valu tant de bonheur. Dix ans pour apprendre a bien danser et pour m’impregner de ce qu’est le theatre. Dix ans pour imaginer ce que je voulais devenir. Dix ans pendant lesquels j’ai beaucoup ri, mais aussi pleure, car si cet art est exaltant, il se montre aussi tres exigeant. Des le plus jeune age, j’ai appris ce qu’etaient la tenacite et l’autodiscipline, et devant l’inevitable miroir ou nous devions nous regarder sans complaisance, je me suis forgee a l’autocritique. Confrontes a la complexite de leur corps qui change, se forme et se transforme, les jeunes danseurs savent vite – parfois inconsciemment – discerner l’exemple a suivre. J’ai ressenti tres tot la joie profonde de pratiquer un art d’une telle beaute. J’etais fascinee par chaque pas, chaque mouvement de bras, chaque geste de la main. J’etais habitee par la danse. C’etait elle qui rythmait mes jours. Danser est un art ephemere, qui n’autorise aucun relachement : a vingt ans, il faut etre pret techniquement. Mais c’est aussi un bonheur d’etre si tot responsable de soi et de son propre avenir.
C’est a mon grand-pere paternel, qui adorait la musique, que je dois d’avoir decouvert l’Opera de Paris. Un soir, il m’avait emmenee voir Romeo et Juliette de Gounod. Je fus eblouie par la splendeur de ce theatre. Je n’avais jamais rien vu d’aussi beau : les colonnes torses qui encadraient les loges, les fresques du plafond et l’enorme lustre de cristal qui tronait au-dessus de ces fauteuils rouges. Je n’avais plus qu’une idee en tete : retourner dans ce lieu magique pour y travailler et y vivre. C’est aussi ce jour-la que j’ai vu mon premier ballet : dans les annees 1930, a l’Opera de Paris, les seuls ballets que l’on pouvait voir etaient ceux des grands operas.