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Exporter la liberte : le mythe qui a echoue

Auteur : Luciano Canfora

Traducteur : Dominique Vittoz

Date de saisie : 05/06/2008

Genre : Histoire

Editeur : Desjonqueres, Paris, France

Collection : Le Bon sens

Prix : 9.50 / 62.32 F

ISBN : 978-2-84321-104-1

GENCOD : 9782843211041

Sorti le : 25/01/2008

  • Les presentations des editeurs : 17/09/2008

La plus extravagante idee qui puisse naitre dans la tete d’un politique, dit Robespierre, est de croire qu’il suffise a un peuple d’entrer a main armee chez un peuple etranger pour lui faire adopter ses lois et sa constitution. Personne n’aime les missionnaires armes ; et le premier conseil que donnent la nature et la prudence, c’est de les repousser comme ennemis.
Depuis toujours, les gouvernements ont masque sous des motifs vertueux les vraies raisons qui les faisaient entrer en guerre.
A partir d’exemples empruntes de l’Antiquite a nos jours, Luciano Canfora denonce cette perversion morale, culturelle et politique qui permet a un Etat de poursuivre une politique d’hegemonie tout en se drapant du titre de defenseur de la liberte.

Luciano Canfora : Ne en 1942, Luciano Canfora est professeur de philologie classique a l’universite de Bari et directeur de la revue Quaderni di Storia. Parmi ses principaux ouvrages, citons : La veritable histoire de la bibliotheque d’Alexandrie ; Une profession dangereuse, les penseurs grecs dans la cite ; La democratie, histoire d’une ideologie.

  • La revue de presse Jean-Yves Grenier – Liberation du 5 juin 2008

Cette idee d’exporter la liberte est ancienne, montre Luciano Canfora, un antiquisant italien depuis longtemps soucieux d’intervenir dans les debats d’aujourd’hui. Sa these est que derriere l’affichage de principes genereux sur la liberte des peuples ou la democratie se dissimule le plus souvent la defense d’interets imperialistes. C’est au nom de la liberte des Grecs contre l’envahisseur perse, lors des guerres mediques, qu’Athenes a federe une alliance vite muee en empire, la flotte athenienne se chargeant de reprimer les velleites d’independance de ses allies et d’y imposer au pouvoir les factions populaires…
Ce sont cependant les exemples contemporains qui interessent le plus Luciano Canfora.

  • Les courts extraits de livres : 17/09/2008

LIBERTE POUR LES GRECS

Alors qu’on abattait les remparts d’Athenes, au mois d’avril de l’an 404 av. J.-C., beaucoup penserent – comme on le lit dans l’Histoire grecque de Xenophon – que de ce jour datait la liberte des Grecs. Sur ces mots, s’acheve le recit de la grande guerre qui avait dechire le monde grec pendant presque trente ans.
La grande guerre du Peloponnese (431-404 av. J.-C.) avait vite acquis aux yeux des contemporains les plus avises une tres grande importance, bien superieure a celle de tous les conflits precedents, y compris de la guerre semi-mythique contre Troie et des glorieuses guerres mediques. La raison de cette importance exceptionnelle en etait la duree. Au fur et a mesure que les operations militaires s’eternisaient, on prenait conscience du fait que cette guerre ne se resumerait pas a quelques combats, que la bataille decisive etait encore loin. Mais pourquoi une telle duree, inconnue jusqu’alors ? Parce que l’enjeu de ce conflit etait la lutte pour l’hegemonie.
Au lendemain des guerres mediques (478 av. J.-C.), Athenes s’etait affirmee comme une grande puissance, pole d’attraction pour un nombre considerable d’Etats, des iles surtout, qui avaient tire le plus grand benefice de la victoire athenienne sur mer contre la flotte perse. Une alliance s’etait donc creee, vite officialisee, avec Athenes pour Etat-guide. Cette rupture des equilibres traditionnels du monde grec – Sparte, et elle seule avait ete jusqu’alors la grande puissance incontestee – fut a l’origine du conflit avec cette derniere, qui eclata cinquante ans environ apres la victoire athenienne sur les Perses. L’alliance se mua rapidement en empire et les allies devinrent de plus en plus des sujets. A cote de la poursuite theorique de la guerre contre les Perses, visant a liberer les Grecs d’Asie mineure, Athenes, Etat-guide, se consacra avec une frequence croissante a reprimer ses propres allies, tentes de lui faire defection. Tentation d’autant plus forte qu’Athenes s’efforcait de maintenir au pouvoir, dans les cites alliees, des gouvernements de meme tendance que le sien : des gouvernements democratiques, vacillants ou ne disposant pas d’une superiorite numerique sur leurs adversaires (les oligarques et leurs partisans), mais soutenus par les armes de l’Etat-guide.
Ainsi l’alliance, nee dans la foulee de la victoire sur la Perse pour apporter la liberte, entendons l’independance, aux Grecs d’Asie mineure, se transforma en un mecanisme implacable de frein, de controle, voire de repression, des Grecs liberes. Chaque fois qu’ils le pouvaient, les oligarques tentaient deux operations etroitement liees : abattre le systeme democratique et sortir de la ligue athenienne. La principale defection precedant la grande guerre qui allait durer trente ans, fut celle de l’ile de Samos (441-440 av. J.-C.). Athenes lanca contre cette derniere une repression de grande ampleur, lui livrant une veritable guerre qui dura des annees. Mais encore une fois, Sparte n’apporta aucun secours aux rebelles, contrairement a ce que ceux-ci avaient peut-etre espere. Il est evident qu’une intervention aurait signifie une guerre generalisee, aux consequences imprevisibles.
Sparte, comme toute grande puissance engagee dans une partie d’echecs aussi colossale, ne pouvait laisser a d’autres Etats le soin de decider quand declencher un conflit qu’on pressentait comme inevitable. Elle passa a l’action quand elle le jugea necessaire, et meme ineluctable, pas avant. Ceux qui avaient agi plus tot, pensant peut-etre forcer la main a la grande rivale d’Athenes, furent abandonnes a leur sort. Et ecrases. Plus encore, par un paradoxe revelateur, Samos elle-meme, qui avait subi une guerre et une repression d’une durete impitoyable et, une fois vaincue, avait vu les democrates revenir au pouvoir dans les bagages de l’armee athenienne, devint des lors la plus fidele alliee d’Athenes. Nous y reviendrons.