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Frere du precedent

Auteur : Jean-Bertrand Pontalis

Date de saisie : 07/01/2008

Genre : Essais litteraires

Editeur : Gallimard, Paris, France

Collection : Folio, n 4608

Prix : 5.80 / 38.05 F

ISBN : 978-2-07-034708-7

GENCOD : 9782070347087

Sorti le : 11/10/2007

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  • Les presentations des editeurs : 07/01/2008

Quand le second est ne, le premier s’est ecrie : “Comme il est moche !”
Le premier faisait rire la mere, le second jamais. Du premier, on disait qu’il etait nerveux, du second qu’il etait quasiment muet.
Quand le second eut quinze ans, le premier lui fit decouvrir la litterature.
Quand, a la meme epoque, ils vont se promener ensemble dans la ville, il n’y a plus de premier et de second. Ils different l’un de l’autre mais portent tous les deux la meme canadienne. C’est l’hiver, l’air est vif, ils marchent d’un bon pas.
Le cadet vient de retrouver quelques lettres qu’il a recues de l’aine. Certaines debordent d’affection, d’autres sont pleines de fiel.

Prix Medicis Essais 2006

  • Les courts extraits de livres : 07/01/2008

J.-F. et J.-B.

Dans le dixieme volume du Grand dictionnaire universel de Pierre Larousse qui en compte dix-sept apparait a la lettre L mon arriere-grand-pere paternel, Antonin. La notice qui lui est consacree et que je le soupconne d’avoir largement redigee lui-meme comporte une centaine de lignes. Elle est suivie d’une autre, plus breve : Amedee, frere du precedent.
Dans le Larousse du XXe siecle figure le nom de mon grand-pere Germain. Il est suivi par Eugene avec la meme mention : Frere du precedent. Dans les editions ulterieures, exeunt Antonin, Amedee, Germain, Eugene.
Les deux freres, Antonin et Amedee, avaient trois ans d’ecart, Germain et Eugene, deux. Mon frere aine, Jean-Francois, et moi, Jean-Bertrand, un peu moins de quatre. Notre mere nous appelait J.-F. et J.-B. Etait-ce pour gagner du temps ou pour qu’une seule lettre nous differencie ?
Antonin, ne en 1830, et Amedee, ne en 1833, appartenaient a ce que Daniel Halevy a nomme la Republique des notables. Ils siegeaient l’un et l’autre a l’Assemble nationale. Fils d’un notaire, ils etaient bons catholiques, du moins quant a leur face visible ; ils avaient du bien ; ils faisaient preuve a l’Assemblee d’eloquence, quoique Pierre Larousse – la, c’est lui qui s’exprime – qualifie cette eloquence de froide et verbeuse allant jusqu’a parler de limonade. Bref, d’excellents conservateurs (que la France soit conservee en l’etat, que le visage du monde ne change pas), proche pour l’aine de M. Thiers, pour le cadet, des monarchistes.
Antonin etait aussi ce qu’on n’appelait pas encore un intellectuel. Il est l’auteur, entre autres, d’un gros ouvrage sur Jean de Witt, grand pensionnaire de Hollande. Proprietaire, maire d’une commune en Seine-et-Oise, plusieurs fois elu depute du departement, pere de deux fils, l’un et l’autre chartistes, le premier comme eleve, le second comme professeur – Germain vouant de nombreux travaux a Jeanne d’Arc et poete a ses heures, Eugene, photographe aux siennes et auteur d’innombrables monographies sur les eglises de sa region -, Antonin, decidement, pouvait etre fier de lui. Il l’etait.
D’Antonin j’ai retrouve au fond d’un placard abandonne des couronnes de lauriers defraichis et des croix d’honneur qu’il avait pieusement preservees, allant de ses annees d’ecole jusqu’a la classe de rhetorique. Plus tard, j’ai decouvert dans le grenier de la maison qui est mienne aujourd’hui son portrait en pied encadre de moulures dorees comme on en voit dans les musees. Je n’ai eu qu’une hate : m’en debarrasser. Cet homme, ses favoris, ce regard hautain, ce gros ventre sangle dans un habit de membre de l’Academie des sciences morales, tout dit la satisfaction de soi, la certitude de son bon droit a etre ce que l’on est. Sartre, qui n’y allait pas de main morte, eut sans hesiter place le portrait d’Antonin dans la galerie des salauds a Bouville. Je connais par coeur la derniere phrase des Mots : Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui.
A la seule idee que je pourrais en vieillissant ressembler a mon arriere-grand-pere, devenir a mon tour un notable et servir a mes lecteurs de la limonade, je sursaute : non, quand meme, pas ca ! Lui en voudrais-je de lui devoir mon patronyme, a ce personnage infatue que je n’ai pas connu – il est mort en 1903 – mais qui, que je le veuille ou non, est mon aieul ?