Auteur : David Albahari
Traducteur : Gabriel laculli | Gojko Lukic
Date de saisie : 15/01/2008
Genre : Romans et nouvelles – etranger
Editeur : LES ALLUSIFS, Montreal, Canada
Collection : Les allusifs
Prix : 18.00 €
ISBN : 978-2-922868-68-5
GENCOD : 9782922868685
Sorti le : 15/01/2008
- Les presentations des editeurs : 09/12/2007
L’eclatement de la Yougoslavie a jete sur les routes de l’exil une partie importante de la population du pays. Les differents personnages des nouvelles qui composent le present recueil ont trouve refuge au Canada. Cheminant entre la nostalgie et l’oubli, entre la perte d’identite et la decouverte d’un monde, entre la douleur et le rire, ils tentent de construire une vie nouvelle. Si certains s’egarent en chemin, d’autres y parviennent, et il en est meme qui viennent a l’appui d’idees reconfortantes, comme celle qu’un pope orthodoxe et un Indien Siksika ont bien plus de choses en commun qu’on ne pourrait le croire.
DAVID ALBAHARI est ne en 1948 en Serbie. Depuis 1994, il vit au Canada. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages. La plupart de ses romans ont ete traduits en francais, en revanche, son importante oeuvre de nouvelliste reste a decouvrir; Hitler a Chicago ouvre la voie.
Je m’appelle Adam et je ne sais pas pourquoi je suis ici. Ici : dans cette ville situee de maniere indecise entre les Rocheuses et la grande prairie, n’appartenant completement ni aux sommets enneiges ni a la plaine herbeuse, toujours sur le tranchant de la division, sur le fil de la difference.
- La revue de presse Martine Laval – Telerama du 9 avril 2008
Hitler a Chicago est son premier recueil de nouvelles traduit. On y lit des histoires sans tapage, faussement naives, qui chutent avec fracas. Albahari invente des personnages deroutants – un Indien en costume d’apparat, un reveur en peignoir… – pour mieux raconter ses propres blessures : le deracinement, la fracture des cultures, l’impossible rencontre avec l’autre. Son atout : la derision, cette pincee d’humour qui donne a ses nouvelles les plus graves une legerete reconfortante.
- Les courts extraits de livres : 09/12/2007
Il y a deux nuits, j’ai reve de Lolita. Comme je prononcais son nom dans mon sommeil, ma langue s’est docilement levee et abaissee en trois sauts magiques, tracant un arc lumineux dans la sombre cavite de ma bouche. Pas seulement ma langue, bien entendu : en me reveillant, au bord du lit, la couverture sur la tete, j’ai senti mon erection diminuer et mon penis se replier sur lui-meme, tout d’abord lentement, puis de plus en plus vite, comme s’evanouissent tous les reves.
Un peu plus tard, une fois mes yeux habitues a la lumiere du jour, je n’etais plus sur que c’etait Lolita que j’avais revee. En fait, meme si je l’avais revee, comment pouvais-je etre certain que c’etait vraiment elle ? Je n’arrivais a me rappeler aucune description de Lolita dans l’oeuvre de Nabokov, quant a la Sue Lyon du film de Kubrick, avec ses lunettes en forme de coeur, elle ne m’a jamais fait l’effet de la veritable incarnation de Lolita. Et si, me suis-je dit, je n’avais reve que l’idee de sa presence ? Et si je m’etais repete son nom justement parce que son corps n’etait pas la, dans mon reve, de sorte que je flottais au-dessus d’un vide qu’elle aurait du combler ? Et si tout s’etait simplement deroule derriere mon dos, et que le reve, fidele a son habitude, n’avait fait que se jouer cruellement de moi en m’empechant de me retourner ?
C’est ridicule, a dit ma femme. Consacrer tant de cogitation, tant d’energie mentale a quelque chose qui n’a jamais existe ! Comment une creature faite de mots et de phrases pourrait-elle tout a coup devenir un etre de chair et de sang, fut-ce en reve ? Ton reve est d’ailleurs tout a fait juste : tu as reve le vide des mots et tu as agite ta langue, seul agent reel de tout ce qui constitue le discours.
Nous etions en train de prendre notre petit dejeuner et ses levres propulsaient de menues miettes de biscotte.
Je me suis rappele une phrase de la lettre d’un ami. Les interpretations des reves sont ennuyeuses, ai-je dit, seules comptent les images.
Balivernes, a lance ma femme. Les images ne sont que du vide colorie ; les interpretations sont le tissu conjonctif, le ciment. Sans elles, les images eclatent comme des bulles de savon. Les reves, on les oublie, mon cher, a-t-elle dit en prenant dans un pot de la mayonnaise au bout de son couteau, alors que les interpretations restent.
Je n’ai su que lui repondre. Ces derniers temps, dans nos conversations, c’est moi qui reste a court de paroles, alors que, autrefois, c’etait elle qui se taisait et moi qui parlais, croyant parfois que je ne m’arreterais jamais.
En fait, a dit ma femme la bouche pleine, le simple fait que tu aies fait ce reve ici, dans ce pays, au Canada, ou l’exploitation sexuelle des enfants represente le pire des crimes que l’on puisse imaginer, est plus eloquent que tout ton reve. Et cela, reconnais-le, a-t-elle dit avant d’aspirer une gorgee de cafe, c’est tout de meme de l’interpretation.
Si tu veux dire par la que l’interpretation est plus importante que l’oeuvre, ai-je retorque, autant arreter la cette discussion.
Vous, les ecrivains, vous etes tous pareils, a dit ma femme.
Qui est pareil a qui ? me suis-je recrie. Donne-moi un seul nom, inutile d’en citer plus.
Ma femme a leve les yeux. D’accord, a-t-elle dit, je sais, tout homme est une ile, et entre les iles il y a certainement moins de ressemblances qu’entre les etres humains, mais je t’en prie, epargne-moi ces conneries. Ce que j’essaie de te dire, a-t-elle dit en detachant bien les syllabes comme si elle s’adressait a un enfant, c’est que l’endroit ou l’on reve ne peut etre separe du reve, et qu’aucun reve ne peut etre reve deux fois a l’identique. Ce qui ailleurs a ete de l’eau sera ici tres probablement de la glace.
Elle avait raison, du moins pour ce qui etait de la glace. En effet, le mercure du thermometre indiquait depuis des jours une temperature de moins vingt, et descendait au cours de la nuit d’une dizaine de degres supplementaires. La maison ou nous vivions, construite essentiellement en bois, grincait et geignait sous les assauts du vent. Le matin, dans la cour arriere, les ecureuils s’enfoncaient dans la nouvelle neige.
Non, ai-je dit, il ne s’agit pas de ca. Il ne s’agit pas de desir, il ne s’agit pas de solitude, mais d’impuissance, non, d’espoir, d’abandon. Je ne savais pas, en fait, de quoi il s’agissait, pas plus que je ne savais pourquoi j’avais reve de Lolita. Si toutefois c’etait Lolita.