Je suis morte et je n’ai rien appris

On a tous tendance a penser que le bizutage n’existe plus ou alors dans des proportions tres encadrees et pourtant dans certaines grandes ecoles cette pratique a toujours lieu avec des methodes qui vous donnent froid dans le dos. Fort de son experience Solenn Colleter nous raconte l’entree de Laure dans l’ecole Sainte Therese ou le bizutage a lieu chaque annee avec le soutien du proviseur sauf que cette annee le bizutage va aller trop loin et deraper…..

Les bizuts doivent mourir pour apprendre a renaitre. Sauf moi, qui resterai seule et incomprise : j’ai succombe a une barbarie qui n’a jamais eu lieu. Je suis morte et je n’ai rien appris.

Dimanche, 16 h 45

Un sifflet dechire l’obscurite : les bizuts levent la tete. Projecteur, bref apercu du decor, apocalypse.
– BEUZEUS ! ! !
– VOUS ALLEZ CREVER ! ! !
– VOUS ETES DEJA MORTS, SOUS-MERDES ! ! !
Mugissements, deflagrations, tonnerre de hurlements.
Devant, derriere, partout a la fois, des monstres brament, rugissent, des gourdins s’abattent, des cravaches sifflent, des cornes de brume vociferent. Un vacarme de fin du monde laboure les tympans.
Laure sent plus qu’elle n’entend sa voisine hoqueter. Cranes rases ou encagoules, facies crepusculaires, bouches beantes sur cris de haine, yeux exorbites, la vision qui… nouveau coup de sifflet : la jeune fille repose la tete sur son pupitre.
La clameur s’eteint comme si les bizuts l’avaient revee.
Deux secondes d’un chaos aveuglant, puis plus rien. Des pans de la scene restent graves sur la retine de Laure. Desordonnes, epars. Battes de base-ball et poings americains, tetes de mort, tenues paramilitaires ornees d’inscriptions assassines : BORN TO KILL, J’AURAI TA PEAU BOZO… Sa vision peripherique lui a revele d’autres accessoires. Lesquels ? Impossible de les identifier. En tout cas il y a du noir, beaucoup de noir, effarante imitation d’un royaume des tenebres ; maquillages sombres, cirage, charbon, noir a ongles, noir a levres, noir a paupieres – et du rouge, comme de larges giclees de sang frais.
Mais le pire est ailleurs.
Des cadavres. Squelettes d’animaux, charognes, volailles eventrees. Une vache au regard vitreux.
Non : une tete de vache seulement, corrige Laure. Qui surplombe un corps humain.
Que vient-elle faire la ?
Tout est tellement irreel – a peine apparu, aussitot disparu…
Certains de leurs agresseurs sont assis sur un echafaudage ; sur la plus haute marche, un bizuteur a l’epaisse carrure a enfile une depouille bovine sur son visage. La langue de l’animal pend, bleuatre.
Le premier moment de stupeur passe, Laure s’efforce d’analyser la situation. Le scenario a ete etudie pour marquer les nouveaux : les laisser entrevoir quelques bribes d’une hallucination, suggerer plutot que montrer… Tete contre le pupitre qu’on lui a attribue dans la penombre, Laure prete l’oreille aux bruits qui lui parviennent. A l’autre bout de la piece, des voix deguisees s’elevent, insolite mi-chemin entre hurlement siffle et glapissement chuchote.
Une conversation indistincte, puis un couperet :
– COUPABLE. EXECUTEZ-LE.
Laure fremit. On traine quelqu’un sur plusieurs metres. Balbutiements de protestations, vite etouffes ; vacarme assourdi ; grognements de bete en rut.
– C’EST BON, CA, BEUZEU, HEIN ?
– CREVE, SOUS-MERDE !
Souffles rauques, coups sourds, gemissements.
– T’EN VEUX ENCORE ?
Seul le silence repond, le silence et un rale de souffrance.