La chimere d’Arezzo

Marie Nicolle – 02/04/2007

La Chimere d’Arezzo

Violoniste, concertiste de renom, Jean-Toussaint Beaufort, a la faveur d’un congres international dans un pays de l’Est imaginaire, fait la connaissance d’une femme mysterieuse, archeologue passionnee par les Etrusques, Luminiza Dumitriu. Elle vit seule avec sa petite fille dans une principaute devenue republique populaire, pays replie sur lui-meme et dirige par un despote megalomane. Jean-Toussaint noue une relation improbable avec cette tentatrice qui exerce une veritable fascination sur lui. Contraint de rentrer en France au terme d’un tres court sejour, il se sent mysterieusement appele par Luminiza. Durant son second voyage a l’Est, il se retrouve mele aux soubresauts de la Revolution, decouvre celles et ceux qui ont constitue le passe et la jeunesse de la jeune femme, jusqu’ou le menera sa decouverte ? A sonder les liens de la mort, de la politique, de la musique, de l’amour, de la memoire, des secrets de famille, des drames incurables qu’ils entrainent. A queter la verite en lui.

Ce roman, qui epouse la marche implacable du temps, est une tragedie moderne qui use de certains ressorts du recit d’aventures policieres et d’espionnage. Il invite a une reflexion sur les pouvoirs du reel et du factice.

Francois-Jean Authier enseigne la litterature. La Chimere d’Arezzo est son premier roman.

Ils avaient attendu qu’Alicia se calme. Elle se doutait bien qu’elle avait detraque leur jouet. D’autres fois, elle forcait le ressort des boites a musique, dereglait les pendules, remplacait par de la lessive le bicarbonate de soude qui chassait les aigreurs de sa mere, lachait les lapins dans les rosiers. Ils creusaient des tunnels jusqu’en Chine, allaient liberer les petites princesses aux pieds contraints dans la Cite interdite. Elles n’avaient plus qu’a grimper sur leur dos et disparaitre. Au petit matin, les montures fourbues reintegraient leurs clapiers. Des broutilles.
Le monsieur avait serre les levres. Ils avaient raison apres tout, le papier, c’est fait pour s’epancher, pas pour eponger. Ca doit etre sec, tendu, leger, crissant, craquant, avec des odeurs de chenille et de lierre, tachete de petits vers qui se gondolent sur les pages et qui parlent quand on les regarde. Alicia dechiffrait encore. Elle jouait avec les lettres comme on empile des cubes. Elle etait de cet age beni des abecedaires. Sa mere l’avait grondee pour la forme. Il avait bien fallu que la petite hurlat pour etre un peu rassuree. Ce n’etait pas grand-chose ces pages desormais illisibles, un rien de souvenirs avec un soupcon d’invention. Un peu de vie qui s’en va. Quelques fumees, quelques orages, une mythologie souffreteuse de l’Histoire, de grands airs imites, la nostalgie baratineuse de ce qu’on n’a pas connu, un doigt de passions etouffees. Un fond d’illusion et deux tiers d’eau. Jean-Toussaint se dit en sortant que ses oeuvres completes ne seraient pas meme bonnes a allumer une cheminee. Aucun tirage. Il etait grand temps de tourner la page. Luminiza prenait en main ses destinees. Il n’avait que trop parle de lui. Par hasard, ces vieilleries s’etaient depliees comme une fleur qui se fane, et retournaient a l’indistinction gluante d’une pate remachee. Bien cracher depuis le pharynx, degorger d’un coup, degueuler le rumine, respirer a pleines bronches les senteurs du matin. Belle purge.
Luminiza mene la danse. Dernieres recommandations a la fillette qui retrouve ses jeux. Elle ramasse a la hate quelques defroques aristocratiquement elimees, des guenilles fantasques de folle de Chaillot qu’elle destinait a d’autres parades. Pele-mele, des hardes d’un autre temps, des petites culottes effrangees et crapuleusement ajourees, un necessaire a toilette arrange avec autant d’astuce que des ustensiles de poupee. L’ensemble mele au souille, au tourne des cosmetiques perimes, la senteur des frictions qui s’echauffent sous les jupes par le mouvement incessant des jambes.