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La Coree, le voyage vers l’Est : anthologie

Couverture du livre La Coree, le voyage vers l'Est : anthologie

Auteur : Eric Bidet | Stephane Bois

Date de saisie : 20/06/2007

Genre : Litterature Etudes et theories

Editeur : la Bibliotheque, Paris, France

Collection : L’ecrivain voyageur

Prix : 17.00 / 111.51 F

ISBN : 978-2-909688-43-5

GENCOD : 9782909688435

  • Les courtes lectures : Lu par Claire Lamarre – 29/06/2007

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Claire Lamarre – 05/06/2007

  • Les courts extraits de livres : 29/06/2007

Journee de pluie

Oh ! la cocasserie, pour moi si imprevue, d’une journee de pluie a Seoul ! L’amusant souvenir que j’en ai garde ! Cette fois-la, en ouvrant ma fenetre au matin, j’avais vu tout assombri et tout nuageux ce ciel ordinairement si pur. Autour de la ville grise, les montagnes droles et trop pointues semblaient piquer dans un meme voile epais, qui descendait peu a peu, peu a peu embrumant les choses. Et des gouttes d’eau, d’abord tres fines, avaient commence de tomber : la pluie, la vraie pluie, que l’Empereur etait alle demander lui-meme aux dieux de la Coree, la veille au soir, en sacrifiant de sa main un mouton, dans la campagne, sur un rocher. Alors, il y avait eu changement a vue dans la saugrenuite des foules ; en un clin d’oeil, ce pays etait devenu le royaume de la toile gommee, couleur jaune serin. Devant l’entree imperiale, ou stationnaient comme toujours les chaises a porteurs de tant de grands personnages, les valets prestement avaient mis des capots en toile ciree jaune sur toutes ces belles caisses laquees noir et or. Par-dessus leur petit chapeau de clown, les passants avaient tous pose en equilibre un immense cornet de pareille toile ciree jaune ; les plus craintifs de l’eau avaient aussi endosse une veste bouffante, de meme etoffe et de meme couleur. Des parapluies larges, a mille plissures, toujours en toile ciree jaune, s’etaient deployes partout au-dessus des tetes. Et les robes de mousseline blanche, que l’on troussait le plus haut possible, maintenant molles, fripees, s’emplissaient de crotte. Jusqu’au soir la pluie tomba du ciel lourd, tomba tranquille et incessante.
Dans la rue boueuse, la foule circulait, aussi pressee ; seulement, de blanche qu’elle avait coutume d’etre, voici qu’elle venait de passer au jaune uniforme, et les centaines de tetes, avec leurs especes de grands bonnets de magicien enfonces jusqu’aux veux, etaient a present des cones bien pointus, sur lesquels ruisselait l’averse.
Et enfin j’ai garde souvenance d’un jeune moineau, trop vite echappe du nid, qui ce jour-la s’etait abattu dans ma chambre, ne pouvant plus voler tant il avait recu de pluie sur ses pauvres petites plumes neuves. Le lendemain matin, bien seche et reconforte, il s’en alla par la fenetre ouverte rejoindre ses freres, moinillons de la meme couvee, qui pepiaient au beau soleil reparu, en face, perches sur des gnomes de platre et de faience, a la frise du portique imperial.

Pierre Loti La Troisieme jeunesse de Madame Prune, 1905