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La corpulence du monde

Auteur : Dominique Sigaud-Rouff

Date de saisie : 14/01/2008

Genre : Romans et nouvelles – francais

Editeur : Seuil, Paris, France

Collection : Cadre rouge

Prix : 18.50 / 121.35 F

ISBN : 978-2-02-096336-7

GENCOD : 9782020963367

Sorti le : 03/01/2008

  • Les presentations des editeurs : 15/01/2008

Un soldat britannique, membre des SAS, attend sa mission du jour dans la chaleur de Bagdad. A Marseille, un homme s’apprete a commettre un infanticide sur son fils de quelques mois. Dans le sud de la France, une romanciere ecrit sur sa vie et sur celle de ces deux hommes.

Le point commun entre ces trois personnages ? Une seule et meme journee, et les details qui la composent, ces evenements, mineurs ou essentiels, qui construisent un quotidien, une existence, et font la corpulence du monde.

Trois histoires apparemment aux antipodes, qui pourtant s’articulent avec une grande maitrise. C’est la le talent de Dominique Sigaud : eclairer notre lien au monde, en passant par le singulier et l’intime ; nous en faire sentir l’epaisseur, la chair, dans ce qu’elle a de plus lumineux comme de plus sombre. On est happe par ce roman puissant et admirablement construit.

Ancienne journaliste, Dominique Sigaud a couvert de nombreux conflits. Elle est l’auteur de dix romans et recits publies chez Gallimard (L’Hypothese du desert, 1996 ; Blue Moon, 1998 ; Les Innocents, 2000 ; De chape et de plomb, 2003, etc.), puis chez Actes Sud (The Dark side of the moon, 2004, Aime, 2006, L’Inconfort des ordures, 2007).

  • Les courts extraits de livres : 15/01/2008

Sur les bancs, malgre l’ombre, la chaleur etait ecrasante mais c’est la que Clifford, Jeff, Tommy et Richard s’installaient apres le dejeuner; les autres le savaient, leur laissaient la place. A vrai dire d’ailleurs, personne ne la convoitait, rien n’abritait cette terrasse, la reverberation etait telle, meme en baissant les yeux, la lumiere virait au violet sous les paupieres ; il suffisait de baisser les yeux, le blanc des murs et des dalles brulait, l’air brulait, meme le ciel etait blanc et brulait, cette ville avait l’air de bruler des que le soleil etait a la verticale. Mais eux aimaient bien etre la. Un angle de mur, un vieux reste de plate-bande, un figuier pas tres haut, tordu et deux bancs en pierre epaisse scelles au mur. Ils s’installaient la pendant que les autres allaient s’etendre au frais sur leurs lits ou cherchaient un peu d’air sur le toit ; des qu’ils passaient le seuil, l’air s’ecrasait sur eux, a chaque fois ils se laissaient surprendre, c’est pourtant bien ca qu’ils voulaient. Ils s’asseyaient, posaient les gobelets de the brulant qu’ils avaient rapportes de la cantine, s’appuyaient contre le mur et fermaient les yeux. Pendant quelques minutes, ils ne disaient plus rien.
C’etait leur coin, personne d’autre n’avait envie d’etre la.

A force de rester assis sans bouger jusqu’a se couler dans la fournaise, ils finissaient par trouver le peu d’air que la proximite du fleuve ramenait jusqu’a eux. Il fallait d’abord s’etre laisse ecraser de chaleur pour ca. Alors ils rouvraient les yeux, leurs poumons respiraient a nouveau; ils prenaient leurs gobelets; ils etaient quatre, toujours les memes, parfois cinq avec Davidson.

A cette heure-la, il n’y avait plus rien d’autre a faire qu’attendre. Dans toute la ville c’etait pareil, tout s’arretait, meme la guerre, la seule heure ou meme les bombes ont plus envie de peter, disait Jeff; ca arrangeait tout le monde et c’est pour ca qu’ils venaient tous les jours sur ces bancs en plein cagnard. Parce que c’est la et nulle part ailleurs, en bouffant cet air impossible a respirer, qu’on en profitait le mieux.

Alors, ils pouvaient passer le bon moment qu’ils avaient decide de s’offrir ; boire leurs thes, fumer leurs cigarettes, parler et attendre. Maintenant qu’ils s’y etaient faits, ils aimaient ca. Ils avaient fini par y trouver leur plaisir. Un plaisir de militaires surarmes embarques dans une histoire mal ficelee, frisant le ridicule, mais c’etait le jeu et ils n’y etaient pour rien, d’ailleurs ils n’en parlaient a peu pres jamais, jusqu’a ce jour en tout cas. Un jour exactement calque sur les autres a la difference pres que certains dans l’unite partaient en permission a la fin de la semaine. Clifford etait le seul du groupe a en beneficier, il l’avait appris deux jours plus tot, c’est d’ailleurs ce qu’il avait dit apres sa premiere gorgee.
– Les mecs, samedi a la meme heure, je suis sur mon canape.
Ils n’avaient pas repondu. Clifford avait decolle son dos du mur, s’etait tourne vers eux :
– Et vous savez ce que j’aurai dans la main ? Richard avait aussitot porte grossierement la sienne entre ses jambes.
– Non, connard, j’aurai un truc bien plus precieux qu’une bite entre les mains. Tu vois pas ? C’est frais, ca mousse et quand ca te coule dans la gorge t’es le roi du monde…
Cette fois, le geste de Richard avait ete plus obscene encore.
– Putain, j’vais etre vraiment content de pas te voir pendant une semaine…
Les autres, ravis, les regardaient faire.
– C’est une Guinness que j’aurai dans la main, grand cretin, une Guinness tellement fraiche et a point que tu sais meme plus a quoi ca ressemble. Une Guinness, les potes.
Il avait rappuye sa tete contre le mur les yeux fermes, repete un peu plus tard a voix basse :
– Une Guinness, les potes.