La nuit des avaleurs d’ombres

Arthur Tenor, diplome de psychologie, fut instituteur, employe de banque et consultant en communication. Auteur d’une soixantaine de livres pour la jeunesse, on lui doit aussi deux grandes series historiques, le Felin (Lito) et les Voyages extraordinaires (Plon).

La petite princesse Nefertis, fille de Pharaon, a fait un cauchemar. De sinistres assassins, les avaleurs d’ombres, preparaient un complot contre son pere…

Une nuit. Nefertis et son ami Sethim suivent un avaleur et l’interceptent. L’homme, blesse, parvient a s’enfuir. Nefertis et Sethim se lancent alors a sa poursuite dans la ville de Thebes et le long des berges du Nil. Reussiront-ils a dejouer les plans de ceux qui veulent tuer Pharaon pour le remplacer ?

L’AVERTISSEMENT D’ISIS

La clarte lunaire qui penetre par la fenetre carree de la chambre a pris une etrange coloration bleutee, comme si l’astre de la nuit s’etait transforme en un disque de lapis-lazuli. Derangee dans son sommeil, la jeune fille etendue sur le lit aux pieds de lion dores laisse echapper une plainte. Dans le silence plane un souffle regulier. La dormeuse ouvre vivement les yeux. La respiration cesse… puis reprend. L’adolescente a un frisson d’effroi, car ce n’est pas de sa bouche que sort cette haleine profonde. Une ombre se dessine sur le mur, le profil noir d’un chacal a museau allonge et oreilles pointues. La jeune fille fronce les sourcils ; pourquoi Anubis, le gardien des secrets et le juge des morts, vient-il troubler son sommeil ? La silhouette glisse sur le mur, puis devient celle d’un homme aux epaules larges. Ses yeux cernes de khol fixent l’adolescente avec une intensite fascinante, presque bestiale.
– Princesse Nefertis, tu vas mourir, emet une voix pareille au murmure du vent.
La jeune fille prend soudain conscience qu’un avaleur d’ombres a penetre dans sa chambre. Elle voit luire la lame effilee de son poignard. Le voila tout proche ! Ses yeux sans iris ne sont que deux trous de tenebres. Nefertis voudrait appeler N’go, son protecteur nubien, mais sa gorge est nouee de terreur. L’assassin est penche au-dessus d’elle, si pres qu’elle sent son haleine glacee passer sur sa gorge comme en prelude a son crime. Elle tente de se redresser, mais ses membres ankyloses sont lourds comme l’or. Bien que ses levres brunes et charnues ne bougent pas, la voix grave du tueur vibre a ses oreilles :
– La barque de Thoutmosis doit sombrer !
L’homme brandit sa lame et la plante dans le coeur de la jeune fille, qui pousse un cri abominable… Presque aussitot, un immense personnage a la peau noire comme l’ebene surgit dans la chambre. D’une main, il tient une lampe a huile, de l’autre, un glaive de bronze.
– Qu’y a-t-il, princesse ? Tu as crie !
Nefertis, assise sur son lit, en nage et haletante, est encore incapable de parler. Le Nubien se rend a la fenetre pour s’assurer que tout est normal au-dehors. La chambre donne sur un vaste jardin en longueur, parcouru par des gardes armes de lances. Sur l’eau claire du bassin central miroite une lune a demi pleine. N’go se retourne.
– Ca va, princesse ?
– Oui, ce n’est rien. Un reve.
– Un vilain, alors, car tu as pousse le cri de la mort.