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L’armee du salut

Auteur : Abdellah Taia

Date de saisie : 06/03/2008

Genre : Romans et nouvelles – francais

Editeur : Points, Paris, France

Collection : Points

Prix : 5.50 / 36.08 F

ISBN : 978-2-7578-0819-1

GENCOD : 9782757808191

Sorti le : 06/03/2008

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  • Les presentations des editeurs : 18/03/2008

Dans une petite maison pres de Rabat, Abdellah vit avec ses parents et ses huit freres et soeurs. Adolescent, il decouvre la sensualite avec son frere aine. Quand celui-ci tombe amoureux d’une femme, il se sent abandonne. Parti pour la Suisse, ce n’est pas la liberte tant esperee qu’il decouvre, mais l’exclusion et les deceptions amoureuses…

La realite de notre famille a un tres fort gout sexuel, c’est comme si nous avions tous ete des partenaires les uns pour les autres.

Abdellah Taia est ne en 1973 a Sale, au Maroc. Il vit a Paris et prepare un doctorat es lettres. Il est l’auteur de Mon Maroc, Le Rouge du tarbouche, Maroc 1900-1960. Un certain regard, ecrit en collaboration avec Frederic Mitterrand, et d’Une melancolie arabe.

Le roman d’Abdellah Taia joue sur la sobriete, sur une maniere de parler de sujets delicats, voire scandaleux, tabous.

Le Monde

  • Les courts extraits de livres : 18/03/2008

Elle dormait toujours avec nous, au milieu de nous, entre mon petit frere Mustapha et ma soeur Rabiaa.
Elle s’endormait tres rapidement, et ses ronflements rythmaient nuit apres nuit et de facon naturelle, presque harmonieuse, son sommeil. Au debut, cela nous derangeait, nous empechait d’entrer tranquillement dans les reves. Avec le temps, sa musique nocturne, pour ne pas dire ses bruits, etait devenue un souffle bienveillant qui accompagnait nos nuits et qui, meme, nous rassurait quand les cauchemars s’emparaient de nous et ne nous lachaient qu’une fois que nous etions vides, a bout.
Longtemps notre maison de Hay Salam, a Sale, n’a ete qu’un rez-de-chaussee de trois pieces, une pour mon pere, une autre pour mon grand frere Abdelkebir et la derniere pour nous, le reste de la famille : mes six soeurs, Mustapha, ma mere et moi. Il n’y avait pas de lits dans cette piece-la, juste trois banquettes qui servaient, le jour, de canapes de salon. On vivait tout le temps dans cette piece, ou il y avait aussi une vieille armoire gigantesque, monstrueuse, les uns sur les autres : on y mangeait, on y preparait parfois le the a la menthe, on y revisait les cours, on y recevait les voisines, on s’y racontait des histoires qui ne finissaient jamais, et bien sur on s’y disputait, gentiment ou violemment, cela dependait des jours, de notre etat d’esprit et surtout de la facon dont ma mere reagissait.
Pendant plusieurs annees, mon enfance, mon adolescence, l’essentiel de ma vie s’est deroule dans cette piece qui donnait sur la rue. Quatre murs qui ne protegeaient pas vraiment des bruits de l’exterieur. Un petit toit pour vivre, enregistrer dans sa memoire, dans sa peau, ce qui faisait notre vie, tout experimenter, tout sentir et plus tard tout se rememorer.
Les deux autres pieces nous etaient presque inaccessibles, surtout celle d’Abdelkebir. Il etait l’aine, presque le roi de la famille. Celle de mon pere etait a la fois le salon des grandes occasions, la bibliotheque ou il rangeait soigneusement ses livres en arabe magnifiquement relies et son nid d’amour. C’est la que mes parents faisaient l’amour. Cela leur arrivait au moins une fois par semaine. On le savait. On savait tout a la maison.
Pour dire a ma mere son desir sexuel, mon pere avait mis au point ses propres techniques, ses strategies. L’une d’elles consistait tout simplement a passer la soiree avec nous, dans notre piece. Lui qui etait un grand parleur, lui qui aimait tout commenter, il devenait soudain silencieux. Il ne disait plus rien, pas un mot, pas un son ne sortait de sa bouche. Il ne fumait meme pas. Il se recroquevillait dans un coin de la piece, seul avec les tourments de son desir, dans les premices de l’acte sexuel, deja dans la jouissance, les bras autour de son corps. Son silence etait eloquent, pesant, et rien ne pouvait le briser.
Ma mere comprenait assez vite, et nous aussi.
Quand elle acceptait ses propositions silencieuses, c’etait elle qui animait la soiree par ses histoires du bled et par ses eclats de rire. Fatiguee ou bien en colere, elle se taisait elle aussi. Ses refus etaient clairs, mon pere alors n’insistait pas. Mais une fois, vexe, il se vengea d’elle, et de nous par la meme occasion (alors que nous etions completement neutres dans leurs histoires sexuelles, du moins nous essayions de l’etre), en coupant l’electricite dans toute la maison. Il nous priva ainsi cruellement de la soiree hebdomadaire des varietes internationales que nous suivions avec beaucoup d’attention a la television. Il nous mettait dans le meme etat de frustration que lui. Personne ne protesta. Nous le comprenions tres bien. Pas de plaisir pour lui : pas de plaisir pour nous.