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Le Criticon

Auteur : Baltasar Gracian

Traducteur : Benito Pelegrin

Date de saisie : 10/07/2008

Genre : Romans et nouvelles – etranger

Editeur : Seuil, Paris, France

Prix : 24.00 / 157.43 F

ISBN : 978-2-02-095031-2

GENCOD : 9782020950312

Sorti le : 17/04/2008

  • Les presentations des editeurs : 11/07/2008

Le cours de ta vie en un discours : ainsi Baltasar Gracian (1601-1658) definit-il dans sa note Au lecteur son roman, l’incomparable Criticon selon Schopenhauer.
Allegorie du voyage de la vie en quatre saisons, ce premier roman europeen d’apprentissage, dont nous donnons ici la substantifique moelle, presente deux pelerins de la vie parcourant l’Europe a la recherche de la Felicite, a travers le monde des apparences, systematiquement enonce, denonce et renvoye dans La grotte du Neant. Gracian pulverise les fausses valeurs, si actuelles, de l’image, de l’ambition, du pouvoir, du lucre, en une philosophie au marteau qui brise sans pitie les idoles clinquantes et les faux-semblants. Il leur oppose l’education et la culture qui, de l’homme brut, font une Personne consommee, exalte l’Art, qui est sans doute le premier emploi de l’homme dans le paradis. Rosse, feroce, la satire s’inscrit dans une veine fantastique, et s’ecrit avec une verve fantasque qui fait du Criticon un chef-d’oeuvre de liberte langagiere, de bonheur dans le mot et dans le jeu.

Benito Pelegrin, agrege, docteur d’Etat, professeur emerite des universites, ecrivain, dramaturge, journaliste, vit a Marseille. Specialiste international du baroque, il a consacre a Gracian de nombreux ouvrages (quelque 6000 pages). Il a recu en Espagne l’hommage d’un colloque international de gracianistes. Parmi les six livres qu’il a publies depuis 2000, Figurations de l’infini. L’age baroque europeen (Seuil, 2000) et Traites politiques, esthetiques, ethiques de Baltasar Gracian (Seuil, 2005) ont ete couronnes par des prix (grand prix Calbairac de la prose 2001 et prix Jules Janin de l’Academie francaise 2006).

  • La revue de presse Robert Maggiori – Liberation du 10 juillet 2008

Morale de l’histoire ? Tout ce qu’a cree le Supreme Artisan est parfait, tout ce que l’homme a ajoute est imparfait. Mais si l’homme, ne innocent, est corrompu par le monde, il peut se sauver, batir un art de vivre et fonder une societe harmonieuse s’il donne a l’education permanente qu’il recoit la force de pulveriser les prejuges, les fausses valeurs et le pouvoir des apparences, de renverser un monde ou la vertu est persecutee, le vice applaudi, la verite muette, le mensonge trilingue. Qu’on ne voie pas la, cependant, quelque chose d’edifiant. Le Criticon – dont les trois parties sont publiees, sous pseudonyme, entre 1651 et 1657 – est une fete baroque, un feu d’artifice, tout en mots d’esprit et jeux sur les mots, alliterations et etymologies fantasques, une sarabande endiablee, irreverencieuse – dont on devine qu’elle plut assez peu a la Compagnie de Jesus, qui dechut le pere Gracian de ses charges, le mit au pain sec et le chassa du college de Saragosse…
Un jeu de massacre, mais doux, spirituel, amuse – mene avec agudeza, cette acuite qui est le label de toute l’oeuvre de Baltasar Gracian. Est-ce raisonnable, par exemple, qu’une mere laisse aller sa fille en pelerinage a Saint-Blaise sans elle ? Sans l…

  • Les courts extraits de livres : 27/04/2008

Essai introductif

I. LE CRITICON, PURGATOIRE DE BALTASAR, PARADIS DE LORENZO GRACIAN

Des traites au Criticon

Baltasar Gracian y Morales nait en 1601, en Aragon, dans une Espagne a l’apogee de son Siecle d’Or. A dix-huit ans, il entre dans la Compagnie de Jesus, y occupera divers postes : professeur de philosophie, lettres, Ecritures, theologie morale (casuistique). Il se fait vite remarquer par son esprit frondeur et persifleur dans cet ordre religieux qui a fait de la discipline et de l’obeissance absolue l’un de ses piliers : fauteur de trouble et croix de ses superieurs, ainsi est-il vite catalogue et la suite ne dementira pas l’etiquette. A Huesca, il se lie d’amitie avec un riche seigneur aragonais, Lastanosa, qui devient son mecene, editant ses premiers ouvrages : Le Heros (1637), dedie au roi Philippe IV, bref opuscule d’une extreme concision (une vingtaine de pages). Dans un langage d’une hautaine difficulte, le jesuite trace le modele ideal du Prince chretien auquel il propose une raison d’Etat de soi-meme qui a assimile les lecons de Machiavel. Dedie au vice-roi d’Aragon et de Navarre, le duc de Nochera, qui en fait son confesseur et chapelain et l’amene dans sa cour de Pampelune, dans cette meme veine concise et complexe, il publie Le Politique don Ferdinand le Catholique (1640), encore plus bref, exaltation de ce roi aragonais, epoux d’Isabelle la Catholique, heros de la politique qui avait deja servi de modele a Machiavel. Gracian, non sans insolence envers les princes regnants, le propose comme exemple passe aux rois presents et a venir. Distinguant entre mauvaise et bonne raison d’Etat, celle mise au service de la religion catholique, le jesuite donne ainsi a la direction d’intention des casuistes de la Compagnie de Jesus une application politique exemplaire.
Le pere Baltasar suit le vice-roi a la cour, a Madrid, qui l’exalte. Il preche dans la capitale avec grand succes, a guichet d’eglise ferme, du moins selon ce qu’il ecrit a ses amis aragonais : art de vendre sa marchandise qu’il saura mettre en aphorisme. C’est le sommet de sa carriere mondaine. Et le debut de l’eclipse, car le vice-roi ami et protecteur, compromis dans le soulevement de la Catalogne, perd la faveur du roi, est juge, emprisonne et meurt de chagrin en prison. Baltasar lui restera fidele meme dans la disgrace et a sa memoire apres sa mort. C’est a Madrid qu’il fait paraitre en 1642 Art de l’Esprit, le seul de ses ouvrages qu’il remaniera cinq ans plus tard, dedie cette fois a l’infant Baltasar-Carlos.
C’est dans ce jeune prince heritier que l’Espagne, qui commence a subir de graves defaites et a perdre son hegemonie en Europe, met ses espoirs de redressement et Baltasar, sans doute, nourrit des ambitions personnelles de conseiller politique ou de precepteur : savoir s’accrocher au bon arbre, autre conseil qu’il formulera. Il lui dedie encore son Honnete Homme (1646). Ce traite, prenant le relais de l’ancien Courtisan de Castiglione, imposera en Europe le nouvel ideal des bonnes manieres dans les salons mondains. Mais son brillant eloge de l’apparence et de l’ostentation, symbolisees par le paon, cristallisant et justifiant le gout du faste et de la beaute de toute une epoque, offre un renversement ontologique de la hierarchie platonicienne de l’etre et du paraitre dans le theatre du monde, lieu de toute reussite : l’esthetique l’emporte sur l’ethique traditionnelle du denigrement de l’apparence. Mais le jeune prince meurt cette annee meme, enterrant les espoirs souterrains de promotion sociale du jesuite qui demeurera, a partir de la, confine dans sa province natale d’Aragon sans aucun interlocuteur a son niveau mais avec beaucoup d’ennemis mediocres, envieux de son grand succes litteraire en dehors meme de l’Espagne. Revant d’immenses espaces dans son futur roman, il n’aura voyage de son Aragon natal qu’a la voisine Navarre, a Tolede et Madrid, a Valence, a la proche Catalogne soulevee et passee a la France.
La, en novembre 1646, avec le vent des boulets, il aura senti le souffle heroique des armes, qui semble l’exalter, dans les armees de defense de Lerida contre les Francais : les autres religieux malades ou prisonniers, seul chapelain de l’armee castillane en sous-effectifs face a un ennemi double en nombre, il se merite le surnom de Pere de la Victoire par ses preches enflammes aux soldats avant l’assaut, qu’il suit en premiere ligne. C’est ce qu’il relate dans sa plus longue lettre ou vibre une veine epique mais qui frissonne aussi du froid et de l’effroi de l’horreur de la guerre : il se peint sur le champ de bataille, toute la nuit, au milieu des morts blancs comme neige, spectacle horrible, cheveux blonds et chevaux emmeles, tentant de donner l’absolution, en les confessant, aux blesses francais, dont certains refusent, s’avouant de la religion, protestants. Puis, le depouillement immediat des cadavres, pele-mele, jetes, nus, confondus, sans distinction de nationalite ni de religion, dans les fosses communes.