Le fils du peche. Volume 3, Calendes maghrebines

Amarouche, fils du peche, fils de personne, trouve enfin place sur terre par la grace de Mina. Pour elle, pour la famille qu’il fonde, il aspire a depasser les combines du souk, a chercher au-dela des frontieres d’un Maroc incertain – sur lequel il jette un regard critique et pourtant empreint d’espoir – le savoir-faire et les regles dont il a besoin pour exercer son metier honnetement. Il va les trouver en Belgique, ou les dernieres mines viennent de fermer leurs portes, ou les hauts-fourneaux crachent leur fumee soufree. Il y apprend plus encore ; ces gens du Nord, ouvriers ou agriculteurs, qui l’instruisent d’autres facons de penser, lui suggerent que la condition humaine, sous ses oripeaux de diverses couleurs, est identique partout. C’est elle, ou le sort, qui veut qu’il abrege son sejour et entame un retour premature et tragique au Maroc.
Calendes maghrebines cloture la trilogie Le fils du peche, apres Racines et epines (2005) et Noces sarrasines (2006).

Issa Ait Belize, ne en 1954 dans une famille berbere du Nord du Maroc, a baigne des l’enfance dans plusieurs cultures (berbere, arabe, espagnole, francaise). Calendes maghrebines est son cinquieme roman.

Depuis le jour de mes fiancailles avec Mina, j’avais l’impression de recuperer une part essentielle mais inassouvie de moi, une portion du ciel qui m’aurait ete derobee des la prime enfance. Il devenait meme de plus en plus rare que je me souvienne de l’etoile paternelle dechue, comme si les festivites, leur clinquant mediterraneen et le role qu’y avaient joue tous les miens de la montagne, m’avaient en quelque sorte exorcise, delivre d’une part de ma hantise, soustrait a la honte de n’etre le fils de personne. Aurais-je acquis desormais un laissez-passer incontestable ? J’avais le sentiment d’evoluer dans un univers ou ma transparence n’etait plus une tare, des lors que j’estimais n’avoir plus rien a me cacher. Le don inestimable que cette vision m’octroyait dorenavant se conjuguait parfaitement avec la force que j’y puisais pour me permettre de mener a terme bien des taches et me donner l’aplomb necessaire a quelques metamorphoses indispensables a la vie en couple.
Au centre de mon esprit avait pousse un arbre, et sous cet arbre s’etirait une ombre bienfaisante : j’avais enfin une aire de repos, une demeure immaterielle ! Pour un temps, je pouvais dire adieu aux croix sur le Golgotha de mes peines, aux crachats invisibles des gens respectables de la cite des hommes, meme aux jurons et aux pierres lances par des gnomes infames qui peuplent nos souffrances indicibles, concus dans les entrailles infectes de toutes les tribus de la terre.
Changerais-je de condition tout d’un coup parce que la grace m’avait elu pour demeure ? Non, j’etais loin d’etre inconscient, car je me rendais parfaitement compte de la logique de mon monde qui me susurrerait les morsures d’un hiver lorsque, par inadvertance, l’oubli viendrait a anesthesier les blessures du temps passe : Ce n’est qu’un au revoir, cher batard… Or, cette derniere menace n’avait plus aucun effet sur moi, et pour cause : j’etais amoureux. Et amoureux, j’avais l’intention de le demeurer le restant de mes jours. Chacun son royaume, son sanctuaire et son jardin ; moi, j’etais devenu citoyen d’une patrie nommee Mina.
Justement, depuis qu’elle avait rejoint son poste d’institutrice a Rabat, avec Soufiane dans les bras, Mina se presentait a mon esprit comme un port d’ancrage ou decharger tous mes espoirs, mais aussi mes propres angoisses. A mes eternelles incertitudes, elle ajoutait les siennes, surtout quand il s’agissait de son avenir, du notre, dans une obscure petite ville berbere du Nord, appelee Nador, phare en francais.

Nador… Je la cite enfin apres une pluie de mots ! Champ seme de mes malheurs, tombeau de mes bonheurs, cite a peine ebauchee et deja receptacle de toutes les beautes, d’une theorie de cruautes. Qu’est-elle pour jeter son devolu sur moi que son reve habite, et dont ma blessure infecte est sienne ? S’il est vrai qu’elle m’a choisi pour parler de ses entrailles, moi, je l’abhorre avant de l’aimer. Et quand j’arrive a l’effleurer de mes pensees, le temps d’une rencontre inopinee, j’etouffe a force de respirer les miasmes de ses reves suris, les relents nauseabonds de son materialisme grossier; je suffoque sous l’oubli, la chape de beton, sa specialite, dont elle a couvert toutes les promesses du debut.
Ou sont les fruits annonces depuis sa fondation ? Ou sont ces fragrances dont elle voulait inonder le pays ? Au fond, la chanter revient a narrer l’histoire d’une cite ardente de ses vices. Quel est ce peche qu’elle n’a pas encore statufie comme le veau d’or dans le temple de son ego ?
Elle a dilapide le sang verse en son nom par les premiers saints qui l’ont foulee comme une aire de battage ! Meme si ces gens qui l’ont vue naitre ne sont plus, ils la contemplent du Ciel, unis et accoudes aux premieres loges, attendant la nouvelle cite qui tarde a se dessiner.
Quant a moi qui ne suis ni saint ni diable, mais seulement le fils du hasard, je ne suis venu d’un proche avenir que pour tamiser la farine de ses jours passes, sans oublier de faire le compte de ses cauchemars futurs si par malheur elle continue a frimer. Pour faire de moi son amant, il faudrait qu’elle cesse de vendre ses enfants pour trente deniers au premier marchand d’esclaves venu… Nador, as-tu seulement une ame ?