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Le gout des abricots secs

Auteur : Gilles D. Perez

Date de saisie : 18/02/2008

Genre : Romans et nouvelles – francais

Editeur : Ed. du Rouergue, Rodez, France

Collection : La brune

Prix : 10.00 / 65.60 F

ISBN : 978-2-84156-901-4

GENCOD : 9782841569014

Sorti le : 11/01/2008

  • Le choix des libraires : Choix de Philippe Bernadou de la librairie DELOCHE a MONTAUBAN, France – 17/09/2008

Il pleut sans discontinuer sur la residence dont les habitants ont ete chasses. Ne restent, separes par une mince cloison, qu’un vieil homme dont la femme vient de mourir et qui ecoute sans cesse un ancien enregistrement de Schumann, et le narrateur qui attend l’impossible retour de sa compagne. Les liens que tissent entre eux deux la memoire et l’abandon sont plus forts que les paroles. Souvent meme plus forts que le silence. C’est un roman magnifique qui parle d’exil, de resistance et de passion, beau et grave comme la musique de Schumann, jamais desesperee mais d’une melancolie etincelante.

  • Les presentations des editeurs : 17/09/2008

Nous tirions de grandes satisfactions d’etre les derniers habitants de la residence. Tous les autres avaient fini par partir. Le vieil homme s’appuyait contre mon epaule et nous cheminions lentement dans les etages, nous souvenant des travers de ceux qui vivaient la, de leur mefiance envers le vieil homme et sa femme parce que c’etaient des etrangers qui roulaient les “r” et qui ecoutaient de la musique jusque tard le soir, et de leur animosite envers Vera et moi parce que nous etions l’unique jeune couple de la residence.
Nous marchions dans ces lieux sombres et deserts, hantes par de lointains accords de piano, et nous etions les seuls rescapes d’un naufrage, explorant l’ile ou nous avions echoue, rassures de n’y trouver personne. Et si l’on nous avait dit que nous etions les deux seuls etres humains encore presents sur la Terre, nous l’aurions cru volontiers et nous aurions fete la bonne nouvelle d’une rasade de vodka.

Le gout des abricots secs est un recit d’amour et d’exil, berce par la musique de Schumann. C’est le premier roman de Gilles D. Perez, ne a Casablanca en 1965, qui vit actuellement entre Paris et Buenos Aires.

  • Les courts extraits de livres : 17/09/2008

Cela fait plusieurs jours que le reveil s’est arrete. Et je ne sais plus depuis combien de temps il continue de pleuvoir. Il pleut en permanence, et la cour de la residence est une etendue d’eau boueuse. Les quelques touffes d’herbe qui trouent le ciment lezarde flottent a la surface. Le niveau de l’eau monte chaque jour un peu plus. L’entree des immeubles sera bientot inondee. Le tout-a-l’egout ne fonctionne pas. L’electricite dans les escaliers non plus. Autrefois, la residence etait belle. Autrefois, il y avait des habitants. La plupart etaient des couples de retraites, mais il y avait aussi quelques veuves. Puis tout le monde a fini par partir et il ne reste plus que le vieil homme et moi.
Nous habitons sur le meme palier, au quatrieme etage du batiment B. Une mince cloison separe nos deux appartements qui donnent sur la cour. Debout devant la fenetre, je fume des cigarettes en regardant au-dehors. La pluie tombe jour et nuit, une pluie noire et si epaisse qu’elle ne laisse plus voir le ciel. Le lilas decharne, au milieu du jardinet, a l’air d’une epave. Le trottoir qui borde la cour a disparu sous les eaux. Il y a longtemps que nous ne sommes pas sortis. Nous savons bien que la vie continue, a quelques pas de la residence. Une grande ville ne meurt pas comme ca. La rumeur de la circulation nous parvient quelquefois, entre deux accords de piano.
Ces temps-ci, le vieil homme est maussade. Son sourire est moins present. Et bien qu’il n’y ait plus personne dans la residence pour lui reprocher d’ecouter de la musique apres vingt-deux heures, le son du piano se fait rarement entendre jusqu’aux aurores. La pluie a mis fin a nos balades dans le parc et le vieil homme s’agace de devoir rester enferme. Sa mauvaise humeur n’a rien a voir avec je ne sais quelle resignation. J’ai parfois le sentiment qu’il me faudrait decider quelque chose. J’ecrase ma cigarette et je m’allonge sur le grand lit. Cet appartement vieillit doucement. Il vieillit comme un refus de la deliquescence qui nous emporte. Il y a bien sur quelques traces de nicotine et quelques fissures sur les murs du salon. Mais la vie dans la residence est si lente qu’elle nous protege de l’usure. Le vieil homme ne vieillit plus, il se contente de durer. Dans la glace au-dessus de la cheminee, mon visage n’a pas pris une ride. Ici, le temps est a peine un effet de surface. Les choses aussi se sont arretees. A l’instar de l’ascenseur du batiment B bloque entre le troisieme et le quatrieme etage. Personne ne semble savoir que nous habitons la, le vieil homme et moi, a l’exception des services de la municipalite. Le seul courrier que nous recevons, ce sont des avis d’expulsion.
Tout a l’heure, j’ai laisse le vieil homme assoupi dans son fauteuil, j’ai range la vodka au freezer, j’ai remonte la couverture sur ses epaules, et j’ai regagne mon appartement. Je vis essentiellement dans le salon. Lorsqu’on se retrouve seul, beaucoup de choses deviennent encombrantes. J’en ai pris mon parti et j’ai vendu la plupart de nos meubles a un brocanteur. J’ai pourtant conserve la coiffeuse qui etait autrefois dans notre chambre et ou Vera rangeait ses parfums. Les yeux noisette de Vera me souriaient dans le miroir tandis que je l’attendais, allonge sur notre lit. Longtemps, j’ai continue a la voir se demaquiller. Lorsque j’ai cesse de la voir, j’ai decroche le miroir et je l’ai descendu a la cave. La coiffeuse est garnie d’un plateau en marbre blanc surmonte d’une etagere en vieille loupe de noyer. A part une photo qui repose en equilibre contre le rebord de l’etagere, il n’y a rien d’autre. C’est la seule photo de Vera qu’il me reste. J’ai aussi garde l’aspirateur a cause de la moquette. J’aime bien marcher pieds nus sur la moquette propre. Mais lorsque je vais voir le vieil homme, je mets des chaussures. C’est une politesse elementaire a l’egard de quelqu’un qui a pris le parti de vivre en smoking. Je vais le voir chaque jour, en debut d’apres-midi, et nous restons de longues heures assis face a face. Le vieil homme parle et, en general, je garde le silence. Il m’arrive de parler aussi, mais toujours de choses anodines, jamais de Vera. Du reste, le vieil homme ne me pose pas de questions. Ou alors, nous nous taisons tous les deux et nous ecoutons de la musique, de Schumann souvent, et de Schumann plutot Les Scenes d’enfant. Le vieil homme n’a pas perdu son sourire. Il s’est un peu affaisse, il est parfois hesitant ou au bord du renoncement, mais malgre tout il demeure. Ce sourire, c’est la substance de toute une vie, me disait Vera.