Auteur : Alain Brossat
Date de saisie : 03/04/2008
Genre : Documents Essais d’actualite
Editeur : Seuil, Paris, France
Collection : Non conforme
Prix : 15.00 / 98.39 F
ISBN : 978-2-02-096731-0
GENCOD : 9782020967310
Sorti le : 14/02/2008
- Les presentations des editeurs : 04/04/2008
Comment comprendre que l’omnipresence de la sphere culturelle ne suscite nulle part ni opposition ni inquietude ? D’ou vient pareil unanimisme ? Et que cache-t-il ?
Partant de ces questions peu orthodoxes, Alain Brossat dessine les mornes contours de la democratie culturelle dans laquelle nous baignons desormais, gaves et assoupis, mais aussi isoles et insatisfaits. Ce nouveau regime de gouvernance supplante chaque jour un peu plus notre vieille democratie politique, vaincue par le marche et ses irresistibles attraits : precisement les marchandises culturelles !
Non content de donner, avec les armes du philosophe, un grand coup dans la fourmiliere de notre tout-culturel, de ce toujours plus de culture que l’edition et la librairie connaissent si bien, non content d’etre un livre de combat contre une pensee plus que dominante (il faudrait dire hegemonique), cet essai resolument a contre-courant devoile l’ampleur de ce qui se joue dans ce desinteret de la politique au profit de la culture : tout simplement notre servitude.
Alain Brossat enseigne la philosophie a Paris VIII-Saint-Denis. Auteur de nombreux ouvrages, il vient de publier Le Sacre de la democratie. Tableau clinique d’une pandemie, Anabet, 2007
- La revue de presse Jean Blain – Lire, avril 2008
Le dernier livre d’Alain Brossat part d’un constat. L’epoque est revolue ou tout etait politique. Tout est desormais culturel : le tag, le graffiti, les concours de labour a l’ancienne, les cuisines regionales ! Le temps est loin ou l’ideal herite des Lumieres concevait l’instruction comme un moyen d’emancipation…
Autant dire que, pour Alain Brossat, on ne saurait remedier ni a la crise de la democratie, ni au desinteret si souvent deplore des citoyens pour la politique, sans rompre avec l’ideologie selon laquelle tout est culturel.
- Les courts extraits de livres : 24/02/2008
Extrait de l’introduction :
Mot de passe…
La culture n’est pas une marchandise comme les autres, tel est l’enonce consensuel dont on n’a pas fini de s’etonner qu’il rassemble toutes sortes de propagandistes, parfois en conflit ouvert : ministres de la Culture de tout poil, syndicalistes et intermittents du spectacle, militants associatifs, caciques de l’industrie cinematographique, etc.
Un enonce disposant d’une force d’evidence telle qu’il produit des effets d’unanimite constitue un phenomene singulier. Mais l’evidence partagee qui forme une opinion commune, capable de federer ceux que, par ailleurs, tout oppose, n’est-elle pas suspecte de reposer sur une pensee nulle, sur un vide d’idees ? Et pourtant cet enonce n’est pas l’equivalent de ce que tendent a devenir, dans nos societes, des vocables ou des syntagmes tels que fraternite, France patrie des droits de l’Homme ou egalite de chances. Il comporte une articulation qui merite d’etre relevee et depliee.
Contrairement a ce que tend a suggerer sa forme syntaxique, il est compose en premier lieu d’une affirmation et en second seulement d’une negation ou, plus precisement, d’une restriction. Remis a l’endroit, il s’explicite ainsi : la culture est une marchandise; mais cette marchandise doit etre distinguee d’autres, ou plus exactement des autres. Ou encore : la culture est une marchandise, mais une marchandise speciale; voire, si l’on y tient : une marchandise d’exception.
Toute la question est donc de savoir ce qu’est ou serait une marchandise d’exception. Ce qu’induit la forme negative de l’enonce consensuel est, en verite, cette notion chimerique qui serait a la philosophie ce qu’est le canif sans lame ni manche a la coutellerie : celle d’une marchandise a ce point a part, pas comme les autres, qu’elle cesserait pour ainsi dire d’etre une marchandise. La culture tendrait ici a ressembler, mais en positif, a ces Etats de droit qui, a force d’avoir recours aux dispositifs d’exception, de suspendre le droit, tendraient a devenir l’autre d’eux-memes – des dictatures ou des regimes autoritaires.
Et puisqu’il n’est pas necessaire de s’etre fait l’exegete pointilleux du Capital pour comprendre que cette notion d’une marchandise non-marchandise (qui cesserait de l’etre tout en le demeurant) est un oxymore conceptuel, l’evidence s’imposera : c’est precisement parce que l’enonce la culture n’est pas une marchandise comme les autres ne veut litteralement rien dire qu’il peut tout dire et rassembler le Diable et le Bon Dieu, la sainte Croix et les boutefeux de l’enfer.
C’est precisement parce que cette formulation retorse permet aux utopistes (qui revent d’une culture emancipee de toute forme marchande) de s’y retrouver, au meme titre que les realistes (qui se contenteraient de ce que la production et la circulation des denrees culturelles ne soient pas entierement soumises aux lois du marche) peuvent s’y retrouver egalement, qu’elle est devenue le mot de passe de toute cette agitation inconsequente et superficielle deployee dans le registre avantageux de la defense de la culture.
La negation enkystee au coeur de la formule et destinee a etre accentuee, a l’oral, plus ou moins pathetiquement (la culture n’est pas une marchandise comme les autres) est l’operateur de la rhetorique defensive (la culture comme citadelle assiegee) qui va se donner libre cours d’autant plus vivement que chacun demeurera libre de sa definition de ce que la culture est ou serait en verite. La forme negative, qui laisse vide l’emplacement d’une acception positive de la culture, va permettre de faire le plein des dispositions negatives, des passions basses, des frustrations et des pensees interessees, coagulees autour de ce jeu en defense et de toutes les intensites viles, federees par les motifs familiers de la sauvegarde, de la preservation, la protection, l’immunisation, etc.