Auteur : Constantin von Barloewen
Date de saisie : 18/12/2007
Genre : Philosophie
Editeur : Grasset, Paris, France
Prix : 21.50 / 141.03 F
ISBN : 978-2-246-62521-6
GENCOD : 9782246625216
Sorti le : 10/10/2007
- Les presentations des editeurs : 14/12/2007
Quel bonheur ce serait de disposer aujourd’hui d’entretiens de fond avec Andre Gide, Henry James, Marcel Proust, Walt Whitman…
Ainsi est nee l’idee d’une ” bibliotheque interculturelle ” qui rassemblerait pour la posterite les mots des grands esprits de notre epoque. Nous avons choisi des interlocuteurs qui, chacun dans son domaine, ont marque le XXe siecle. Depassant les limites de leurs disciplines, dans les domaines de l’art, de la litterature, des sciences religieuses et culturelles, de l’anthropologie, des sciences de la nature, de la musique, ils ont avance jusqu’aux frontieres du savoir, tout en restant ouverts aux questions fondamentales de la situation intellectuelle de notre temps.
Les cultures du monde entier sont ici representees. Cette enquete babelienne aura dure plus de huit ans, et le resultat est impressionnant. Tout honnete homme se doit d’avoir dans sa bibliotheque cette parcelle du monde connu et en devenir, dont voici les representants : Adonis, Boutros Boutros-Ghali, Erwin Chargaff, Regis Debray, Carlos Fuentes, Nadine Gordimer, Stephen Jay Gould, Samuel Huntington, Philip Johnson, Leszek Kolakowski, Julia Kristeva, Claude Levi-Strauss, Federico Mayor, Yehudi Menuhin, Czeslaw Milosz, Oscar Niemeyer, Amos Oz, Raimon Panikkar, Cardinal Paul Poupard, Ilya Prigogine, Arthur Schlesinger, Michel Serres, Wole Soyinka, Edward Teller, Tu Wei-Ming, Paul Virilio, Elie Wiesel.
Constantin von Barloewen, ne a Buenos Aires, a ete professeur d’anthropologie a Karlsruhe. Il est aujourd’hui membre du Conseil scientifique pour les etudes internationales de l’Universite de Harvard et coordinateur academique pour le dialogue entre les cultures et les civilisations de la Fondation Chateau-Neuhardenberg (Berlin).
- Les courts extraits de livres : 18/12/2007
Extrait de l’avant-propos :
Ce n’est pas le plaisir, ni la gloire, ni le pouvoir : la liberte, uniquement la liberte.
Il n’est pas facile de raconter en quelques mots l’origine de cette entreprise, de retrouver ce qui constitua sa racine – il ne reste que l’impression d’enchantement qu’il a laissee.
Dans un premier temps, il y eut Tanger. Mon ami Andre Heller, l’artiste multimedia autrichien, m’avait demande de lui trouver un moyen d’etre presente a Paul Bowles. C’etait en mai 1997, nous voulions enregistrer un entretien avec ce dernier pour les chaines de television internationales.
Il est des villes ou l’on ne se retrouve jamais pour la premiere fois. On parcourt leurs rues inconnues et l’on a pourtant l’impression que des souvenirs nous saluent, que des voix parentes nous appellent.
Apres avoir passe plusieurs heures a discuter dans le petit appartement de Paul Bowles qui, allonge sur son lit, vetu d’une robe de chambre couleur chameau, prononcait des paroles lumineuses, nous marchames, comme si nous etions ivres, dans les rues nocturnes de Tanger. Nous dormimes peu et reprimes nos peregrinations le lendemain.
Si le role de Tanger merite d’etre mentionne, c’est parce que seuls le silence et une interiorite reveuse, depourvue des accessoires genants de la technique moderne, ont permis de deployer une vision tournee vers l’avenir, indispensable a la mise en oeuvre de ce projet.
Les villes sont souvent semblables aux hommes : elles sont tristes et vieilles, jeunes et souriantes, menacantes et minces, souples et extenuees. Frequemment, elles rappellent au visiteur un tableau, un livre, une chanson, un reve ; dans les cas heureux elles degagent une energie poetique, les images colorees d’une hate refrenee.
Nous etions encore sous le coup de notre entretien avec Paul Bowles lorsqu’une idee jaillit comme un eclair : quel bonheur ce serait de disposer aujourd’hui encore d’entretiens de fond avec Andre Gide, Henry James, Marcel Proust, Walt Whitman, Ralph Waldo Emerson ou Henry D. Thoreau, pour n’en citer que quelques-uns. La legerete du materiel, la precision des cameras numeriques ermettraient aujourd’hui de mener une entreprise de ce genre. Ainsi naquit l’idee d’une bibliotheque interculturelle visuelle qui enregistrerait pour la posterite les mots des grands esprits de notre epoque au seuil du IIIe millenaire.
Mais pour l’heure nous nous trouvions a Tanger, ce chef-d’oeuvre compose par ses habitants et son art de vivre, avec cette maniere paresseuse, sensuelle, voluptueuse de jouir de l’existence, en harmonie avec la vie joyeuse que menait sa jeunesse, avec cette decontraction et cette sensualite furieuse qui s’epanouissent dans la casbah.
Des centaines de bateaux couverts de fanions parcouraient le port, qui paraissait bien solitaire lorsqu’on tournait le regard vers la ville. Les murs l’entouraient, vieux rubans surgis du passe, charges de l’attitude majestueuse d’un moine geant, inspirant a la fois la melancolie et un immense respect, exprimant tout ce que cette ville peut avoir de magique et de seduisant. Un sentiment d’ephemere assaille l’individu lorsqu’il sent l’ombre de ce prestigieux passe.
Tanger donne l’impression que tout ce qui a un caractere merveilleux ne s’enracine pas seulement dans l’eternel, mais est aussi tourne vers Dieu et les symboles de la religion. On dirait qu’elle ne peut se dresser face a l’inebranlable rigidite de Dieu sans l’ornement ludique des minarets et des petites tours coquettes et dentelees.
A chaque instant, des ombres humaines se croisent et se saluent a voix basse dans les ruelles etroites. Elles ont au premier abord l’air de messagers de la mort, mais ces silhouettes noires et discretes surveillent en realite les longues rangees des enfants qu’on leur a confies. On distingue aussi des visages paisibles, tranquilles, on sent a la fois la grandeur et la mort qui guette, tapie dans les recoins. Pourtant, meme dans la lourde obscurite de cette foi tremble une lumiere mystique pourpre, nous reconnaissons cette celebration fervente des grands miracles qui nous a si fortement eclaires et influences dans les visions qui ont donne le jour a ce projet.
Les gens expriment aussi l’ardente tendresse des rituels et la poesie des choses sacrees qui, seule, donne sa densite a l’ardeur pretendument naive des gens simples.