Le livre enterre : Zola et la hantise de l’archaique

Joachim Salinger – 10/04/2007

Un Zola hante par l’archaique ? Oui, et surtout dans ses romans du travail et du peuple, si severement juges dans son epoque et quelquefois incompris dans la notre.

Ce livre essaie de degager ce substrat de l’ecriture zolienne ou l’articulation de l’ancien et du moderne se laisse decouvrir sous le mode plus ou moins conscient d’une hantise, d’une fouille dans l’imaginaire elementaire, plutot que sous forme de polemiques theoriques, propres aux querelles litteraires et aux mouvements artistiques contemporains. L’archaique zolien y est decrypte et defini comme modalite de creer, comme un recours delibere et un retour inconscient aux ressources primitives de l’imaginaire. La reflexion sur ce lieu culturel elusif qu’est l’archaique dans la deuxieme moitie du XIXe siecle, nous permet ainsi de decouvrir toute une archeologie de references – explicites ou implicites – qui temoignent des affinites subtiles du texte zolien avec le monde archaique des tragedies grecques, avec les procedes de la rhetorique antique, avec l’imaginaire collectif et ses manifestations rituelles dans certaines societes primitives. Ce sont, precisement, les trois grandes voies d’investigation qui ont determine la composition de cet essai.
Mihaela Marin est professeur de francais a Ohio State University, Columbus, Ohio.

Mondes archaiques : banlieue, frontieres, marginalite

La banlieue archaique : l’architecture, les rites, les mots

L’oeuvre de Zola a fait l’objet de nombreuses analyses textuelles – anciennes ou recentes – qui ont aborde la question de la presence de l’intertexte mythologique dans la representation de la cite moderne. Une telle demarche suppose sans doute un desir de reveler la memoire profonde du texte, de fouiller dans son archeologie heteroclite pour decouvrir tout ce qui sans cette lecture des profondeurs resterait a la surface des choses. Dans ce type de lecture, l’emergence de la mentalite moderne devient d’habitude visible dans certaines zones de sensibilite dominees par l’inquietude de la disparition des paysages familiers, de la continuite des formes, de la vie communautaire. L’une des consequences d’une telle hermeneutique de la disparition c’est qu’on attribue a la cite moderne – lieu de naissance de la conscience historique – une identite construite, dans ce cas, via negationis, c’est-a-dire par la dissolution et l’effondrement d’une identite originaire, archaique et mythique en meme temps, car appartenant, selon l’expression de Mircea Eliade, a cet illo tempore tres familier des commencements.

Or il se trouve que le texte de Zola s’ouvre de ce cote-ci a des possibilites d’interpretation bien plus penetrantes et fertiles (deux mots qui plairaient sans doute a Zola) que la simple reconnaissance des themes mythiques a travers l’integralite de l’oeuvre. Il serait difficile de soutenir que le cycle des Rougon-Macquart est base sur la perspective totalisante d’une vision mythique unitaire. Non que le mythe soit elimine d’une telle demarche, au contraire, il s’y trouve integre et reinterprete. Mais il convient de remarquer ici que les visions totalisantes tendent a disparaitre de la pensee critique de la deuxieme moitie du siecle. La reflexion sur la mentalite archaique et son contenu mythique depasse les limites de la production des grands schemas imaginaires pour integrer des zones plus positives et experimentales, telles l’archeologie, l’anthropologie, la philologie.