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Le regard froid : reflexions, esquisses, libelles : 1945-1962

Auteur : Roger Vailland

Date de saisie : 18/12/2007

Genre : Essais litteraires

Editeur : Grasset, Paris, France

Collection : Les cahiers rouges

Prix : 8.60 / 56.41 F

ISBN : 978-2-246-16643-6

GENCOD : 9782246166436

Sorti le : 17/10/2007

  • Les presentations des editeurs : 19/12/2007

L’esprit francais, le libertinage, l’amour, la possession, la cruaute, la souverainete de l’individu, nous sommes dans le jardin de Roger Vailland, en compagnie de ses temoins d’immoralite : Sade, Laclos, Stendhal, Casanova, sans oublier le cardinal de Bernis, le ministre de Louis XV amant d’une religieuse venitienne, dont il fait ici l’eloge. Les dix textes du Regard froid furent ecrits entre 1945 et 1962. On y retrouve le Vailland revolutionnaire, utopique et necessaire, embrassant la raison et l’exces. Un moraliste jamais moralisateur, un prince du plaisir, bref, un homme de qualite, qui part du XVIIIe siecle pour eclairer notre temps, sur le sexe, l’art, la politique. Clair, coupant et nuance, Le Regard froid indique la bonne direction.

  • Les courts extraits de livres : 19/12/2007

I

Au cours d’une conversation, un Francais, de passage dans une capitale etrangere, s’anime peu a peu, la voix prend un certain ton, les yeux un certain eclat, il souligne un mot par un certain geste de la main. Un des etrangers saisit la main au vol, la maintient suspendue a mi-geste et, designant tout l’homme, s’ecrie :
– Comme il est francais…
Jugement a priori qui ne peut etre qu’accepte ou repousse tout d’un bloc. Francais, en effet, devient ici le terme ultime d’une definition (elliptique), celui qui ne rattache l’objet defini a aucun genre, espece, variete, famille, mais simplement denomme sa singularite : la singularite d’etre francais.

II

On peut a la rigueur imaginer Mallarme anglais, Balzac russe, Corneille espagnol, Gide suisse, etc. Mais Retz, Laclos, Stendhal ne pouvaient etre que francais.
Francais suffit a definir et reciproquement est defini par l’allure d’une phrase de Stendhal (ou de Retz ou de Laclos). La singularite de cette allure est d’etre francaise.

III

Les adjectifs, c’est bien connu, vont par paires et se definissent par rapport a leur contraire : lourd et leger, grave et frivole, provincial et… francais. On s’attend toujours a ce qu’un Francais soit le contraire d’un provincial, c’est-a-dire a ce qu’il soit a l’aise.
Un Allemand (au contraire, par exemple et tout particulierement) est toujours un provincial. Rappelez-vous les officiers allemands a Paris, a l’epoque ou pourtant ils etaient vainqueurs ; ils entraient dans les cafes comme un adolescent qui vient dans la capitale pour la premiere fois (pour passer son bachot) et qui a peur de faire sourire le garcon.

IV

Les qualites (et les defauts) specifiquement francaises sont des qualites de citadin, d’homme de la capitale; c’est sans doute que pendant deux siecles Paris a ete la capitale du monde occidental, le francais sa langue, etc.
Le citadin connait les mecanismes du pouvoir, il ne se laisse pas intimider, d’ou son aisance, sa desinvolture, son ironie. Il a penetre dans les coulisses du temple, d’ou son irrespect.
La faculte d’irrespect est typiquement francaise. Dans nos grandes epoques, elle a ebranle toutes les puissances du monde : l’autel et le trone.
Une lecon d’irrespect : voila le don qu’on se croit toujours le droit d’attendre d’un Francais.

V

Les provinciaux se vengent de la desinvolture des gens de la capitale en lui donnant pour origine un manque de reflexion, de poids, de profondeur. D’ou cette reputation de legerete francaise.

VI

L’aisance, c’est aussi de n’etre jamais contraint de se donner a fond : le cheval de race se joue des obstacles Ainsi le Francais (de bonne qualite) joue ; il garde du souffle ; il demeure au point d’ironie.
Cette legerete-la n’est pas manque de fond mais bien plutot exces de puissance, au sens ou on le dit d’un moteur.