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Le roi transparent

Auteur : Rosa Montero

Traducteur : Myriam Chirousse

Date de saisie : 10/01/2008

Genre : Romans et nouvelles – etranger

Editeur : Metailie, Paris, France

Collection : Bibliotheque hispanique

Prix : 22.50 €

ISBN : 978-2-86424-634-3

GENCOD : 9782864246343

Sorti le : 10/01/2008

  • Les presentations des editeurs : 07/12/2007

Lorsque pour echapper au viol et a la mort la jeune Leola revet l’armure d’un chevalier tue, elle ne sait pas qu’elle va dorenavant devoir vivre comme un homme et apprendre a se battre. Nyneve la rousse, la guerisseuse, la sorciere, devient son guide et l’aide a grandir et a faire sa route de femme independante dans ce Moyen Age reel et fantasme qui permet au talent de conteuse de Rosa Montera de nous montrer, en l’espace d’une vie, un siecle qui marque l’ouverture du Moyen Age vers la Renaissance. Leola va apprendre a penser et a ecrire, frequenter la cour d’Alienor d’Aquitaine, voir la corruption de l’Eglise et le fanatisme de l’Inquisition, admirer la lutte des Cathares, decouvrir les pouvoirs de l’imagination et rever du roi Arthur tout en evitant soigneusement la malediction du Roi Transparent. Le grand talent de Rosa Montera est de savoir tenir le lecteur prisonnier de son histoire tout en l’amenant a s’interroger sur un siecle turbulent et deroutant peut-etre a l’image du notre. Emouvant et epique, original et puissant, ce roman a la force irresistible des histoires que le lecteur a du mal a abandonner.

Rosa Montero est nee a Madrid ou elle vit. Apres des etudes de journalisme et de psychologie, elle devient journaliste puis chroniqueuse a El Pais. Elle est l’auteur de nombreux romans traduits dans plusieurs langues, parmi lesquels Le Territoire des Barbares, La Folle du logis et La Fille du cannibale (Prix Primavera et best-seller en Espagne).

  • Les courts extraits de livres : 07/12/2007

Je suis femme et j’ecris. Je suis plebeienne et je sais lire. Je suis nee serve et je suis libre. J’ai vu dans ma vie des choses merveilleuses. J’ai fait dans ma vie des choses merveilleuses. Pendant un temps, le monde fut un miracle. Puis l’obscurite est revenue. La plume tremble entre mes doigts chaque fois que le belier cogne contre la porte. Un solide portail de metal et de bois qui ne tardera pas a voler en eclats. Des hommes de fer lourds et sales s’entassent a l’entree. Ils viennent nous chercher. Les Bonnes Femmes prient. Moi, j’ecris. C’est ma plus grande victoire, ma conquete, le don dont je me sens le plus fiere. Et meme si les mots sont devores peu a peu par le grand silence, ils constituent aujourd’hui ma seule arme. L’encre tremble dans l’encrier au gre des coups, elle aussi apeuree. Sa surface se ride comme celle d’un petit lac tenebreux. Mais voila qu’elle se calme etrangement. Je leve la tete dans l’attente d’un assaut qui ne vient pas. Le belier s’est arrete. Les Parfaites aussi ont cesse le bourdonnement de leurs prieres. Serait-ce que les croises ont pu entrer dans le chateau ? Je me croyais preparee a cet instant mais je ne le suis pas : mon sang recule tout au fond de mes veines. Je palis, tout entiere transie par le froid de la peur. Mais non, ils ne sont pas entres : nous aurions entendu le fracas de la porte qui se brise, l’effondrement des sacs de terre dont nous l’avons renforcee, les pas rapides des predateurs montant l’escalier. Les Bonnes Femmes ecoutent. Moi aussi. Les hommes de fer cliquettent sous les meurtrieres de notre forteresse. Ils se retirent. Oui, ils sont en train de se retirer. Le soleil est sur le point de disparaitre et ils preferent sans doute savourer leur victoire a la lumiere du jour. Ils n’ont pas besoin de se hater : nous ne pouvons pas nous enfuir et il n’existe plus personne qui puisse nous aider. Dieu nous a accorde une nuit de plus. Une longue nuit. J’ai toutes les bougies de la reserve a ma disposition, puisque nous n’allons plus en avoir besoin. J’en allume une, j’en allume trois, j’en allume cinq. La piece s’illumine d’une belle clarte de palais. Et dire que nous avons passe tout l’hiver dans le noir pour ne pas les gaspiller ! Les Bonnes Femmes recommencent a marmotter leur Notre-Pere. Je trempe ma plume dans l’encre paisible. Ma main tremble tant que j’y dechaine des vagues. Je me revois en train de labourer le champ avec mon pere et mon frere, il y a si longtemps qu’on dirait une autre vie. Le printemps nous talonne, l’ete se rue sur nous et nous sommes tres en retard pour les semailles : cette annee, non seulement nous avons du labourer en premier les champs du seigneur, comme d’habitude, mais il a fallu aussi reparer les fosses de son chateau, faire provision de vivres et d’eau dans les tours, etriller ses puissants chevaux de bataille et debroussailler les pres autour de la forteresse afin d’eviter que les archers ennemis puissent s’y embusquer. Nous sommes de nouveau en guerre et le seigneur d’Aubenac, notre maitre, vassal du comte du Gevaudan, qui est a son tour un vassal du roi d’Aragon, lutte contre les troupes du roi de France. Mon frere et moi, nous nous pressons contre le harnais et nous tirons la charrue de toutes nos forces, pendant que pere enfonce dans le sol rocailleux notre precieux soc, cette lame de metal qui nous a coute onze livres, plus que ce que nous gagnons en cinq ans, et qui constitue notre plus grand tresor. Les lanieres de chanvre tresse s’enfoncent dans nos chairs malgre les plastrons de feutre que nous avons mis pour nous proteger. Le soleil est deja tres haut sur nos tetes, presque au zenith de la sixieme heure. Pour tirer la charrue, je dois rentrer ma tete entre mes epaules et je regarde le sol : des mottes de terre jaune dessechees et une chaleur de marmite. Le sang bat dans mes tempes et j’ai la tete qui tourne. Je tire et je tire, mais nous n’avancons pas. Nos haletements sont etouffes par les hurlements et les cris d’agonie des combattants : dans le champ d’a cote, tout pres de nous, c’est la guerre. Depuis trois jours, quatre cents chevaliers se battent les uns contre les autres dans une lutte sans merci. Ils arrivent le matin au lever du jour, avides de s’entretuer, et se blessent et se taillent en pieces toute la journee avec leurs terribles epees pendant que le soleil traverse la voute du ciel. Puis, quand la nuit tombe, ils s’en vont en titubant manger et dormir, prets a revenir le lendemain.
Jour apres jour, tandis que nous egratignons la peau ingrate de la terre, ils arrosent de leur sang le champ voisin. Les destriers eventres tombent avec des cris d’angoisse semblables a ceux des cochons que l’on tue et les chevaliers sous le meme drapeau s’empressent de porter secours au guerrier abattu, si vulnerable au sol, pendant que ses aides lui apportent un autre cheval ou parviennent a desarconner un ennemi. La guerre est un fracas, un tumulte impossible : les hommes de fer rugissent en assenant leurs coups, peut-etre pour se donner du courage ; les blesses gemissent, pietines ; les chevaliers hurlent de rage et de douleur quand l’acier brulant les ampute d’une main ; les boucliers se heurtent dans un eclat metallique ; les chevaux piaffent; les armures grincent et s’entrechoquent.
Antoine et moi tirons la charrue, pere arrache une pierre du sol en lachant un juron et eux, ici a cote, se tuent et se mutilent. L’air sent le sang et l’agonie, les visceres beants, les excrements. Quand le jour s’acheve, les gestes des guerriers se font beaucoup plus lents, leurs cris plus etouffes, et au-dessus de la masse bigarree de leurs corps s’eleve une brume de sueur. Je vois ondoyer le drapeau bleu du seigneur d’Aubenac et l’oriflamme ecarlate a quatre pointes des rois de France : ils sont sales et dechires. Je vois les blessures monstrueuses et je peux distinguer les visages decomposes, mais je ne ressens pas la moindre compassion. Les hommes de fer sont tous les memes : voraces, brutaux. Dans cette souffrance qui flotte dans l’air, il y a beaucoup de douleur a nous.
– Qu’ils se tuent tous, souffle mon frere.

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