Auteur : Jean Deutsch
Date de saisie : 04/10/2007
Genre : Sciences et Technologies
Editeur : Seuil, Paris, France
Collection : Science ouverte
Prix : 20.00 €
ISBN : 978-2-02-087534-9
GENCOD : 9782020875349
Sorti le : 04/10/2007
- La Radio des libraires : Alain Schmidt de la librairie LA LETTRE OUVERTE a PARIS, France – 13/12/2007
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Alain Schmidt – 13/12/07
- Les presentations des editeurs : 13/12/2007
Une histoire du ver qui prenait l’escargot comme taxi, celle des mouches qui naissent de la rosee, celle de l’anemone de mer qui a perdu un siphon, celle de la fausse licorne et du vrai-faux boeuf, celle de la pie-grieche et du lezard a cornes, et d’autres encore…
– autant de recits surprenants qui illustrent de remarquables avancees nouvelles dans notre comprehension du vivant. C’est que la theorie de l’evolution a recemment connu une inflexion et un approfondissement notables en se rapprochant de la science du developpement biologique. Ce courant, dit ” evo-devo “, permet d’admirer toute la subtilite de la vie. Dans la tradition de Buffon et de Gould, cette fresque de douze ” histoires naturelles “, aussi passionnantes que pittoresques, illustre une veritable aventure de la pensee scientifique contemporaine.
Rares sont les domaines ou l’interet et l’emerveillement se conjuguent aussi intensement.
Jean Deutsch est professeur emerite de l’universite Pierre-et-Marie-Curie (Paris VI), ou il a enseigne la genetique et la zoologie.
- Les courts extraits de livres : 01/02/2008
Histoire du ver qui prenait l’escargot comme taxi ou : Comment etre different
Prologue. Le nematode Caenorhabditis elegans, un animal domestique
Le ver dont je vais vous parler ici vit dans la terre, mais ce n’est pas un ver de terre. Ce dernier, le lombric de nos campagnes et de nos jardins, est une annelide, c’est-a-dire un ver annele. C’est Lamarck qui le premier a separe les annelides des autres vers (dans sa Philosophie zoologique, 1809). Chez le lombric, les anneaux, visibles de l’exterieur, sont le reflet de ce que les biologistes appellent la segmentation de l’anatomie interne. Le corps des annelides est constitue de parties repetees, les segments, comme le sont nos cotes et nos vertebres. Le ver de ce recit est un nematode (le terme nematode vient d’un mot grec qui veut dire fil). Les nematodes sont des animaux tres differents des annelides ; en particulier ils ne sont pas segmentes. Les nematodes et les annelides sont deux des trente phylums (les grands groupes) d’animaux. Ces deux phylums sont situes sur deux branches tres eloignees de l’arbre de l’evolution des animaux. Le vocabulaire et le sens commun, qui rapprochent les vers sur la base d’une forme vaguement semblable, peuvent etre trompeurs.
Le nematode Caenorhabditis elegans est un animal domestique d’un genre particulier (figure 1.1). Il fait en effet partie de ces especes peu nombreuses que l’homme a domestiquees pour l’usage en laboratoire. En quelque sorte, il a donne son corps a la science. C’est un tout petit animal, d’un millimetre de long, compose d’un millier de cellules seulement. Ces deux caracteristiques, la taille reduite et le faible nombre de cellules, ont ete des elements decisifs du choix des biologistes. Vers 1950, un biologiste et geneticien francais, Victor Nigon, avait commence a l’etudier en detail. Il avait mis au point les methodes de son elevage en laboratoire, decrit son cycle de vie et les premieres etapes de son developpement. Sydney Brenner en a fait son organisme modele a partir des annees 1960 a Cambridge (Grande-Bretagne). L’animal a rencontre un tel succes qu’il a obtenu le prix Nobel en 2002, remis a son pere spirituel Sydney Brenner et a deux autres biologistes du ver, John Sulston et Robert Horvitz. En quelques annees en effet, Caenorhabditis elegans (plus familierement C. elegans) est devenu dans les laboratoires de biologie presque l’egal de la fameuse drosophile, la mouche des geneticiens. Sulston a decrit integralement le lignage cellulaire de ce ver, c’est-a-dire l’arbre genealogique de chacune des mille cellules de l’adulte au cours de toutes les divisions depuis la cellule originelle, l’oeuf. Horvitz a decouvert et decrit en detail chez C. elegans l’apoptose, ou mort cellulaire programmee. Pour construire un organisme, la proliferation cellulaire, meme accompagnee de differenciation, ne suffit pas ; encore faut-il que certaines cellules meurent. Mais bien sur, pas n’importe quelles cellules et pas a n’importe quel moment. L’apoptose est un processus finement controle indispensable au developpement de tout animal, et qui etait reste insoupconne avant les decouvertes de Horvitz.
Bref, C. elegans, c’est quelqu’un ! Pour mieux le connaitre encore, Marie-Anne Felix, biologiste a l’Institut Jacques-Monod a Paris, a pense qu’il fallait quitter le laboratoire et aller chercher C. elegans dans la nature. Ce faisant, elle a repris pour le ver la meme demarche que Theodosius Dobzhansky avait adoptee dans les annees 1930 avec la drosophile. Pourquoi emprunter un tel chemin, a rebours de celui qui avait ete et etait toujours celui de la plupart des geneticiens du ver ?
La curieuse sexualite de cet animal si elegant
L’une des proprietes de C. elegans, et l’une des raisons du choix de cette espece comme modele d’etudes genetiques, est une curieuse particularite de son cycle de vie. C. elegans se presente sous deux sexes differents, mais dans son cas, ce ne sont pas des males et des femelles, mais des males et des hermaphrodites. Les hermaphrodites possedent a la fois des gonades males et des gonades femelles et sont capables d’autofecondation. C’est meme le mode de reproduction le plus frequent en laboratoire. Les hermaphrodites sont de loin beaucoup plus nombreux que les males : il ne nait en effet qu’un male pour mille hermaphrodites. Cependant les males ont un appareil copulatoire et peuvent feconder les hermaphrodites, qui se comportent alors comme des femelles.
Les geneticiens tirent grandement profit de ce mode de reproduction. Contrairement a ce que l’on croit souvent, le jeu prefere des geneticiens n’est pas de dechiffrer la totalite de la sequence des bases presentes dans l’ADN d’une espece. Depuis les debuts de la genetique, bien avant qu’on ait une idee du role que peut jouer la molecule d’ADN dans l’heredite, le grand jeu des geneticiens, c’est de selectionner des mutants et de les croiser entre eux.