Auteur : Martin Provost
Date de saisie : 14/02/2008
Genre : Biographies, memoires, correspondances…
Editeur : Seuil, Paris, France
Collection : Cadre rouge
Prix : 18.00 / 118.07 F
ISBN : 978-2-02-094343-7
GENCOD : 9782020943437
Sorti le : 14/02/2008
L’Alinea (Martigues)Dialogues (Brest)Durance (Nantes)Maison du livre (Rodez)Mollat (Bordeaux)Ombres Blanches (Toulouse)Sauramps (Montpellier)Thuard (Le Mans)
- Les presentations des editeurs : 19/02/2008
Enfant, j’imaginais toujours que les vieux (cinquante ans) avaient un net avantage sur moi. Leurs visages aux cheveux qui viraient a l’argent, leurs yeux etoiles jusqu’aux tempes, leurs corps faits, arrives, me disaient qu’ils avaient un controle absolu sur tout. Ils ne dependaient de personne, ils avaient le droit d’etre heureux. Je ne me doutais pas qu’ils pensaient a la mort, de plus en plus souvent, et a la decheance a venir, qu’ils ne pouvaient pas faire semblant puisque le temps leur disait tous les jours. Attention, je m’ecoule, ca ne s’arretera pas, jouis du bonheur que tu possedes encore. Est-ce que j’ai accumule assez de bonheur pendant la premiere moitie de ma vie ?
Sur un ton direct et lyrique en meme temps, Martin Provost parle de son enfance et de son adolescence, autour de trois faits majeurs : la mort accidentelle de son frere, l’avortement de sa soeur et la decouverte de son homosexualite. Ces trois evenements, traites avec profondeur et simplicite, sont les echos d’un naufrage familial, dont les survivants se debattent avec cette conclusion impossible : personne n’est coupable. On reconnait ici la qualite du regard du cineaste, attentif aux exclusions, au sentiment de solitude que les etres sensibles peuvent eprouver, mais aussi aux ressorts dont ils sont capables.
Martin Provost est ne en 1957 a Brest. Cineaste, il a realise trois films (Tortilla y cinema, Le Ventre de Juliette et Seraphine, qu’il vient de tourner avec Yolande Moreau). Son premier roman, Aime-moi vite, a paru chez Flammarion en 1992.
- Les courts extraits de livres : 19/02/2008
Je suis arrive ce matin. Deux bonnes heures d’autoroute jusqu’a Rennes, dans un semi-coma avec Glenn Gould et le Clavier bien tempere en boucle, puis trois heures a vitesse reduite sur des routes chaotiques, mais sans impatience, parce que je me suis fait a l’idee que la Bretagne ne vit pas a l’heure de ce progres-la.
Mais il y a la mer apercue a Saint-Brieuc, le coeur qui se serre chaque fois comme si c’etait la premiere fois, Morlaix vue du pont, avec ses petites maisons bien rangees comme des livres sur une etagere, les vitres vite fermees a cause de l’odeur mi-ecoeurante mi-exquise du lisier repandu dans les champs, Brest enfin et sa laideur incontournable, Brest ou je suis ne et ou mon frere est mort.
Encore vingt-trois kilometres avant d’arriver a la maison, vingt-trois kilometres que je connais par coeur pour les avoir parcourus matin et soir pendant mon adolescence pour aller au lycee.
La route a quatre voies a la sortie de la ville, limitee aux cinquante kilometres a l’heure qu’on ne respecte jamais ; l’usine Thomson et sa floraison de ronds-points ; La Trinite qui n’est pas sur mer, on s’y arretait une fois sur deux a cause d’un feu rouge qui durait trop longtemps (si la voiture demarre avant que j’aie compte jusqu’a dix, je decroche une bonne note, sinon, la cata) mais le carrefour a disparu, le feu aussi, il y a un nouveau rond-point ; le vieux calvaire a la bifurcation pour Tregana, la plage ou j’ai failli me noyer quand j’avais quatre ans (en allant chercher de l’eau avec mon seau, j’ai ete emporte par une lame) ; la station Total ouverte meme le dimanche a Porsmilin, a cote du Rancho, mysterieux bar mexicain qui fait aussi creperie l’ete, ou on ne met jamais les pieds, pas plus qu’au Don Quichotte, aujourd’hui abandonne, resto louche ou le cuisinier et sa femme faisaient eux-memes, disait-on, un strip-tease a la fin du diner ; la maison peinte en mauve dans la grande cote avant le carrefour dangereux du Trez-Hir… La, pendant trois secondes, selon la vitesse du conducteur et seulement par beau temps, le regard peut embrasser Bertheaume et son fort, et, de l’autre cote de la baie, la presqu’ile de Crozon, Camaret, les falaises du cap de la Chevre, les tas de pois… puis c’est fini, la route sinueuse s’enfonce a nouveau entre les talus et les bois d’aulnes.
Trois kilometres encore et l’etang de Kerjean apparait entre les pins maritimes, puis enfin la ria, plane et douce comme la peau d’un ventre. Je sais deja quelle sera la temperature de l’eau. Froide si la mer est basse, plus chaude a maree montante. Cette fois la mer est basse, les bateaux sont couches, et les pecheurs de palourdes arpentent l’etendue sablonneuse, courbes en deux, dans la posture d’un lanceur de poids. Je n’irai pas me baigner tout de suite.
Le petit port de peche de mon enfance est devenu un endroit a la mode. Il y a trente-cinq ans, quand la famille s’est installee la-bas, c’etait encore un trou, personne n’allait la-bas, ce n’etait pas un endroit pour les bourgeois brestois. Aujourd’hui, Le Conquet est incontournable. Les dernieres vieilles bicoques s’arrachent a prix d’or, et les lotissements s’epanouissent dans les champs, a la place des artichauts et des choux-fleurs.
Je ne suis pas ne dans cette maison, mais c’est tout comme. Mon pere l’a achetee en 1967, et je revois ma mere l’annee suivante, pendant les evenements, c’est une revolution, disait-elle, qui stockait du sucre et des pates en disant que, si ca continuait comme ca, nous allions etre obliges de nous refugier la-bas, de quitter pour toujours la grande ville, ce qui semblait etre pour elle une catastrophe.