Les Aventures Extraordinaires D’Arsene Lupin T.1

S’il est une caracteristique propre aux grands heros de la litterature populaire, c’est bien qu’ils finissent souvent par eclipser leurs createurs. Tarzan est plus celebre qu’Edgar Rice Burroughs. Sherlock Holmes a occulte Conan Doyle, malgre les efforts desesperes de ce dernier pour s’en debarrasser ; Arsene Lupin a relegue Maurice Leblanc dans l’ombre… Le succes public de Lupin fut tout aussi grand que celui de Sherlock Holmes, et les formidables couvertures de Leo Fontan pour la parution en volumes chez Lafitte fixerent l’image du gentleman-cambrioleur tout autant que les illustrations de Sidney Paget dans le Strand, celle de Holmes. Maurice Leblanc avait cree un type de heros de recit policier qui n’eut en France que peu de disciples et aucun qui puisse meme de loin se comparer a lui. L’oeuvre de Leblanc brillait donc d’un eclat singulier et se pretait plutot bien a l’exegese, a cause de ses differentes “periodes”, de la personnalite complexe de Lupin, de son evolution, de la nature des enigmes qu’il fut amene a resoudre… Du vivant meme de Maurice Leblanc, Arsene Lupin recut la consecration par le theatre, par l’operette, par le feuilleton radiophonique, par le cinema aussi. Sa gloire se paracheva par le septieme art (mais on reve surtout des films dont Jean-Pierre Melville et Andre Delvaux avaient le projet et qui ne virent pas le jour) et par le huitieme meme si l’un et l’autre ne rendirent justice a l’oeuvre de Maurice Leblanc qu’en une seule occasion ; le feuilleton “813” d’Alexandre Astruc, d’une fidelite remarquable, a l’inverse de tant de versions vaudevillesques et caricaturales… Omnibus publie les deux premiers volumes, fort elegants, des Aventures extraordinaires d’Arsene Lupin, accompagnes de deux supplements, “Maurice Leblanc” de Jacques Derouard et “La vraie vie d’Arsene Lupin” de Francis Lacassin.

On peut s’y plonger avec delice, car, dirons-nous en paraphrasant Gaston Leroux : “Arsene n’a rien perdu de son charme ni Lupin de son eclat.”

… Leblanc est un styliste et non des moindres, qui toute sa vie pleurera de n’avoir pas ete reconnu pour ses romans psychologiques, et le moins qu’on puisse dire est qu’a l’exception de Feval, le style ne fut jamais l’apanage du roman-feuilleton. Un courant d’air vivifiant s’infiltre dans les decors d’un genre que le gentleman-cambrioleur au grand coeur parcourt avec des mines de conspirateur, jouant tous les roles d’une tragi-comedie policiere dont il ne sera bientot plus le mechant. Car l’auteur de ses jours ne relache pas ses efforts. Pas question pour lui de ceder aux poncifs d’une forme qu’il a decide de renouveler avec fracas. Des lors, la saga lupinienne s’elabore. Avec des hauts et des bas. L’Aiguille creuse (1909) est une reussite absolue, Lupin revetant l’habit d’un maitre du monde dans un edifice romanesque neogothique. On ressent la passion du romancier pour les mysteres de l’Histoire, qui le rapproche davantage de Dumas que de Maupassant…