- Le choix des libraires : Joueur_1 (1 choix)– Douglas Coupland – Au diable Vauvert, Vauvert, France– 03/01/2012
Dans ce dernier ouvrage on trouve comme une épure de toutes les thématiques couplandiennes ; dont la taraudante question spirituelle. Ici, celui qui remplace Dieu dans ce monde dématérialisé est Joueur_1. C’est la voix qui émaille le discours des 5 personnages qui évoluent dans un aéroport avant la catastrophe.
Écrit pour la radio avec la contrainte formelle que la lecture dure 5 fois une heure, “Joueur_1” explore les crises contemporaines et propose une réflexion sur l’identité et la société avec humour et profondeur.
- Le choix des libraires : L’art français de la guerre (2 choix)– Alexis Jenni – Gallimard, Paris, France– 30/09/2011
Paraît dans la mythique collection blanche de Gallimard un texte monstre – c’est-à-dire qui défie les lois du genre romanesque un peu comme Zone en 2009 – dont l’ambition est de raconter dans une langue somptueuse l’histoire du 20e siècle français à travers les errances et les défaites de l’armée, du maquis à 1940, de l’Indochine à l’Algérie.
Deux récit se croisent et s’enchevêtrent – mêlant anecdote et philosophie, trivialité et abstraction, sur le modèle de ces traités chinois, dont celui de Sun Tsu, qui a inspiré le titre du roman. Deux récits donc, celui de la vie du narrateur, trentenaire vivotant à Lyon pendant “les années guerre du Golfe” qui donne à l’auteur l’occasion de portraiturer avec férocité l’époque contemporaine, et celui de Victorien Salagnon parachutiste et peintre- ancien combattant d’à peu près toutes les guerres – dont le narrateur écrit la biographie. C’est l’envie d’écrire un roman d’aventure mais aussi d’illustrer cette spécificité française un peu absurde du soldat qui part avec enthousiasme pour aller droit dans le mur, c’est aussi le désir de commenter une vision immuable de l’histoire avec un grand H que selon l’auteur on ne sait pas raconter qui ont poussé Alexis Jenni à la rédaction de ce titanesque roman (613 pages). C’est aussi parce que le récit de cette histoire somme toute récente est urgente aujourd’hui et fait, pour l’auteur, réponse au délire ambiant entretenu par politiques et médias quant à notre rapport à l’étranger, à l’immigration. Mieux vaut raconter, assumer erreurs et horreurs qu’éliminer le passé confiait Alexis Jenni aux auditeurs de France Inter en juillet dernier. Belle motivation pour un objet littéraire qui sort du lot haut la main tant par l’originalité du sujet que par la langue qu’il manie.
- Le choix des libraires : Les morues (1 choix)– Titiou Lecoq – Au diable Vauvert, Vauvert, France– 24/08/2011
Les morues c’est le nom que se donnent trois copines de comptoir : des filles dessalées, brutes de décoffrages, libres (c’est-à-dire qui baisent et qui boivent). Elles rédigent une charte féministe où il est question de : aspirer à la normalité ou pas, vivre en couple sans tuer l’amour, le sexe et soi.
Ça s’ouvre sur une fête organisée en mémoire de Kurt Cobain. Jusque là ça sonne comme un genre de “Ensemble c’est tout” du 21e siècle mais ça enchaîne assez vite sur un thriller politique où il est question de privatisation du patrimoine culturel français. C’est sans doute pourquoi l’éditrice présente à raison “Les Morues” comme le roman d’une époque, composé avec une lucidité critique et une distanciation ironique plus que comme une fiction féministe. On oscille entre la chronique de moeurs à la Sex&theCity, le polar politique et le manuel de survie féministe. La plume est alerte, le ton est juste, les 472 pages se tournent toutes seules & it smells like teen spirit ! Si ça ne vous rappelle pas quelqu’un…
- Le choix des libraires : Vacances d’été (1 choix)– Emmanuelle Heidsieck – Léo Scheer, Paris, France– 14/07/2011
C’est l’été, c’est un sublime mas en Provence comme seuls les riches parisiens peuvent s’en offrir. C’est lui qui s’ennuie à mourir dans cette atmosphère ultra bourgeoise avec les amis ultra bobos de sa nouvelle femme. C’est l’emploi du temps qu’il faut se créer, les nouveaux petits rites quotidiens qu’il faut caler pour circonscrire le vertige du farniente. C’est le gardien homme à tout faire qui, très vite, s’impose comme la seule compagnie respirable, le réceptacle idéal de monologues pommade. C’est une amitié qui s’installe croit-il.
En 177 pages, E. Heidsieck donne un récit à la fois vif et intimiste sur la lutte des classes.
- Le choix des libraires : Atopia, petit observatoire de littérature décalée (1 choix)– Eric Bonnargent – le Vampire actif, Ecully, France– 13/06/2011
ATOPIA, PETIT OBSERVATOIRE DE LITTÉRATURE DÉCALÉE est une manière de catalogue passionné, érudit et volontiers subjectif de la littérature atypique occidentale des 20e et 21e siècles. L’atopia, qu’explicite brillamment l’auteur dans l’introduction, pourrait se résumer «au sentiment d’étrangeté que l’on peut ressentir face aux autres et au monde. C’est être en décalage avec la réalité.» La table des matières est un genre d’inventaire thématique où se côtoient – entre autres- Bolaño, Pessoa, B.S Johnson, Mc Carthy, Borges – sur des terres sans lieu.
Atopia appartient à ce genre de critique positive, constructive, qui n’est pas destinée à mettre en valeur la verve de lexicomanes dont les tribunes ne servent qu’à illustrer leur propension naturelle à verser dans la vindicte populacière qu’ils sont persuadés de surplomber et de haut. C’est un livre qui fait passage. Pas barrage. Un livre qui donne envie de lire et de lire encore plus. Et plus encore, qui fait découvrir quelques pépites. Bonnargent est un passeur. Il ferait un excellent libraire !
- Le choix des libraires : Valeurs ajoutées (1 choix)– Frédéric Moulin – Ed. IMHO, Paris, France– 28/03/2011
Mur-de-Berlin-boule-à-neige. Duomo de Firenze, Maryland. Imaginez un monde où la fabrique de l’Histoire se réduit à des mises en scènes grandeur nature. «Poulies, cordages et palans, on déplace les 1000 tonnes et 2 étages de la Kaisersaal sur un gigantesque coussin d’air afin de redessiner Postdamer Platz et que le matin en s’installant à son bureau le président de la banque Takedageld und Getdafuckraus puisse néanmoins, d’un simple coup d’oeil à travers une baie vitrée had hoc, s’emplir le coeur de la roborative vision de l’historique monument.»
Imaginez que ce monde est notre monde. Le triomphe de l’Amérique mentale sur gazon vert fluo.
La politique ça pue, l’économie c’est cool et ma gueule c’est encore mieux sont dans un bateau. Papa tombe à l’eau piégé dans une relation toxique avec les surfeurs, qu’est-ce qui reste ? La thérapie régressive de l’adulte est en marche. La famille c’est désormais sur DVD.
Imaginez un enfant parfait, carrossé droïde dans sa poussette VIP XL de chez BABY SAFE®. Le plus beau bébé du monde : le vôtre. Parfait candidat à “la win” si vous suivez les applications pratiques prévue par nos équipes après mise au point du modèle type.
Ça y est ! Imaginez-le, enfin, ado idéal – au sens platonicien du terme : une planche de surf Xprime® postée derrière le portique de sécurité qui désigne à lui seul l’école. Le meilleur des mondes est advenu enfin sur le réseau social géolocalisé. Il ne s’agit plus maintenant que de cocher les options disponibles au catalogue multi-choix. La parfaite modélisation en vente sur eBay.
Tableau de notre société globale hachée crue, Valeurs Ajoutées se présente comme une science fiction transgenre – récit, cut ups, slogans ? où Frédéric Moulin manie l’anachronisme par un jeu de calques (déplaçant par exemple la crise des subprimes sous celle de la tulipe hollandaise du 17e) pour raconter l’obsession de pères déshumanisés par le souci des performances à se fabriquer le fils parfait.
- Le choix des libraires : Le dernier stade de la soif (3 choix)– Frederick Exley – Monsieur Toussaint Louverture, Toulouse, France– 24/03/2011
Ouvrir la Le dernier stade de la soif c’est un peu comme ouvrir la vitre d’une voiture filant à cent cinquante à l’heure sous une pluie battante : une giboulée de mots. Frederick Exley manoeuvre son autofiction à coups de digressions virtuoses, d’autodérision désopilante et de situations ubuesques en slalomant du coq à l’âne – le coq étant le plus souvent un match des Giants. On devine le gars capable de tenir le crachoir pendant des plombes aux clients du bar avec son génie de la formule et cette acuité dans le croquis du petit rien qui insuffle partout la vie dans sa syntaxe de looser céleste. Volubile comme un poste de radio, Exley trousse néanmoins des sentences ad hoc sur la nature humaine qui laissent à peu près autant de chance d’en réchapper qu’on bon uppercut en pleine tempe. Surtout quand il s’agit de massacrer en règles les valeurs d’une Amérique bien pensante et proprette, élevée aux flocons d’avoine et gaulée comme un panneau publicitaire dans laquelle, bien entendu, il ne se reconnaît pas. Sa culture à haut potentiel d’épandage analytique, il préfère la resserrer dans une prose poétique qui semble tirer le récit d’un chapeau et n’en finit plus de tirer des phrases qui toutes ouvrent au voyage.
Le dernier stade de la soif c’est le récit de rêves déchus un à un par le terne réel, la chronique du désenchantement inéluctable d’un éternel adolescent qui lance sa trille pendant que tout craque et lui en premier lieu, seul et le plus souvent aussi en forme qu’une chaussette sale oubliée sous un lit, avachi sur le canapé de tata. Les critiques américains en font le bâtard improbable de Bukowski, Fizgerald et Salinger, auxquels on pourrait ajouter l’infatigable bavard Henry Miller de Nexus et Plexus, bref, ce que l’Amérique a de plus grand en matière d’étoiles filantes soûlographes collectionneuses d’épiphanies.
Et sur la route de la déroute, son rire et le nôtre est toujours franc.
- Le choix des libraires : Ward : Ier-IIe siècle (1 choix)– Frédéric Werst – Seuil, Paris, France– 24/03/2011
Smar ethön smara eman ena (le pigeon, au lieu de s’envoler, regarde le lointain.) Ne cherchez pas quelle peut bien être cette langue aux sonorités enchanteresses, elle n’existe pas. Plus exactement elle n’existait pas avant que Frédéric Werst ne l’invente, elle et son peuple – les Wards – leur histoire et leur littérature. Parce qu’une langue disparaît tous les 15 jours «ce seul fait justifie que la littérature prenne la peine de penser, sinon de compenser une telle perte». Aussi Werst invente t-il sous nos yeux le Wardwesân (lexique et précis de grammaire disponible en fin d’ouvrage) qui est le personnage principal de ce roman. Car il s’agit bien d’un roman, d’une fiction virtuose sur la gestation historique. La fabrication de l’hisoire présentée sous la forme d’une anthologie bilingue wardesân/français, dont on ne peut s’empêcher de consulter sans arrêt la VO. Werst invente les textes fondateurs des Wards puis quitte leur nébuleuse poétique pour donner des récits épiques, des contes populaires et invente toute la geste romanesque de ce peuple tout entier créé par le verbe, c’est à dire la littérature.
- Le choix des libraires : Will & Will (1 choix)– John Green | David Levithan – Gallimard-Jeunesse, Paris, France– 24/03/2011
Will Grayson a 2 règles : la fermer et en faire le moins possible. Ce qui lui assure de limiter les occasions de souffrir mais aussi celles de vivre, bref de rester backstage sans jamais se donner les moyens d’accéder à la scène. Dans l’ombre de son ami d’enfance, le solaire Tiny Cooper, improbable géant gay dont les tapes amicales vous donnent la sensation d’avoir été percuté par une Wolkswagen, la vie de Will Grayson va basculer lorsqu’il rencontre Will Grayson, l’autre, l’homonyme, au cours d’une soirée où rien ne marche comme ça devrait. On rit (énormément), on est ému et bien sûr, ça finit bien.
Les vraies richesses de ce roman initiatique sur les relations et l’identité (sexuelle) sont sans aucun doute la truculence des dialogues, tous plus hilarants les uns que les autres et la finesse avec laquelle est rendue la psychologie des personnages. A conseiller à tous les (post)ados qui ont envie de se marrer un bon coup.
- Le choix des libraires : Chronic city (1 choix)– Jonathan Lethem – Ed. de l’Olivier, Paris, France– 03/03/2011
Des personnages déjantés embarqués dans des monologues délirants naviguent dans un New York fantasmé recouvert de neige. La narration en rhizomes en fait une surprise permanente aussi bien qu’elle interdit toute circonscription de l’intrigue à un fil linéaire. Si vous aimez Thomas Pynchon ou David Foster Wallace, entre mille autres, ce livre inventif et foisonnant est susceptible de vous plaire.
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