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Les coups de cœur de Fleur Aldebert de la librairie MOLLAT à BORDEAUX, France

  • Le choix des libraires : Un voyage en Inde (1 choix)Gonçalo M. Tavares Viviane Hamy, Paris, France– 07/11/2012

Attention, chef d’oeuvre ! Et à tous ceux qui déplorent, avec raison, l’emploi souvent trop libéral de ce mot, nous répondrons la chose suivante : «Certes, mais celui-ci en est VRAIMENT un !».

Reprenant à son compte l’ossature des Lusiades, ce long poème de Camões qui retrace en dix chants la découverte des Indes par Vasco de Gama, l’auteur de Jérusalem et de Apprendre à prier à l’heure de la technique met en scène un personnage insaisissable baptisé Bloom. Petit-fils de John John Bloom, fils de John Bloom (et lointain cousin de Leopold Bloom ?), notre héros, ou plutôt anti-héros s’embarque dans une véritable quête initiatique qui devrait le mener de l’Occident à l’Orient. S’il s’avère qu’il a fui Lisbonne dans une certaine urgence suite à des événements longtemps dissimulés au lecteur, il ne manifeste aucune hâte vis à vis de sa destination. Et pourquoi ne pas aller jusqu’à affirmer qu’il prend même carrément ? C’est ainsi qu’il fait escale dans une sélection de capitales européennes, de Londres à Berlin en passant par Paris, Vienne, Prague et Berlin. Loin d’être anecdotiques, ces pérégrinations vagabondes participent d’une mise en condition qu’il estime indispensable avant de pouvoir pénétrer ce lointain territoire, lieu de tous les fantasmes s’il en est, et tirer véritablement profit de ses enseignements. Tantôt malmené, tantôt traité avec égard, notre ami n’est pas au bout de ses peines. Mais impossible de le plaindre ou de s’identifier à lui : si son histoire personnelle est digne des plus grandes tragédies grecques, son comportement ne suscite pas la moindre compassion. Affichant tantôt curiosité bonhomme, mélancolie et ennui, il espère tout bonnement trouver enfin la sagesse. Mais si les choses étaient aussi simples, cela se saurait…

Inutile de se laisser désarçonner par sa forme : ce roman-poème se dévore comme les célèbres épopées auxquelles il renvoie. Et s’il est certes nourri de références mythologiques, bibliques et littéraire, force nous est de reconnaître qu’il est beaucoup moins intimidant qu’il n’y paraît. En effet, le lecteur se laisse happer dès la première page par la magie de ce périple hors du commun.

Renouant avec ses concepts favoris, tels que la malignité, la modernité ou encore le langage, Gonçalo M. Tavares signe ici son livre le plus époustouflant. Servie par une écriture peaufinée à l’extrême, à la fois poétique et originale, cette démonstration d’inventivité est un trésor qui recèle de richesses infinies dont il faut bien admettre qu’une lecture unique ne saurait suffire. N’ayons pas peur des mots, ce Voyage en Inde s’impose non seulement comme un livre incontournable de la rentrée mais surtout comme un roman magistral grâce auquel son auteur ajoute une pierre de taille à l’édifice de la littérature mondiale.

  • Le choix des libraires : L’embellie (5 choix)Audur Ava Olafsdottir Zulma, Honfleur, France– 11/09/2012

Il y a des jours où on devrait rester couché et c’est un de ceux-là que notre héroïne va vivre en commençant par percuter une oie avec sa voiture puis en laissant les deux hommes qui occupaient sa vie la quitter pour la même raison : son manque d’investissement et son absence chronique au monde.

Peu importe, la vie continue ! Une voyante le lui confirme d’ailleurs en lui prédisant un voyage, de l’argent et de l’amour. Que demander de plus ? Sauf que le destin semble vouloir s’acharner : la voilà obligée de s’occuper de Tumi, le garçon de quatre ans autiste et sourd de sa meilleure amie, alors que les enfants ne lui inspirent qu’angoisse et méfiance. Ils finissent tout de même par prendre la route ensemble vers un petit village islandais à l’est de l’île. Au fil des kilomètres se tissera une relation émouvante qui leur permettra de renouer avec les joies les plus simples de la vie.

L’embellie est un livre rare à la fois mystérieux et merveilleux dans lequel on se laisse embarquer avec un plaisir inaltérable.

  • Le choix des libraires : Les solidarités mystérieuses (3 choix)Pascal Quignard Gallimard, Paris, France– 14/07/2012

Après avoir longtemps vécu à Paris, Claire décide de renouer avec la terre qui l’a vue grandir et retourne s’installer en Bretagne. Âgée d’une quarantaine d’années, cette femme mystérieuse et solitaire semble avoir passé sa vie à attendre. C’est à peu près tout ce que l’on sait. Mais, peu à peu, ses contours se précise et elle commence à se dévoiler : un demi-frère avec qui elle est toujours restée en contact, une relation amoureuse compliquée (quel beau pléonasme), une maison à investir en haut d’une falaise et un rapport quasi osmotique à la nature (notamment les paysages marins). Pour un peu, on la prendrait pour la soeur cadette de l’héroïne de Villa Amalia. Avec Les solidarités mystérieuses, Pascal Quignard signe un magnifique portrait de femme, elliptique, impressionniste et plein de grâce.

  • Le choix des libraires : Dans le tourbillon (2 choix)José Antonio Labordeta Attila, Le Rayol-Canadel, France– 14/07/2012

Qu’il est réjouissant de constater qu’il existe encore, de part et d’autre dans le monde, de véritables petits trésors littéraires qui n’aspirent qu’à être découverts…

«L’espace de quelques instants tu prêtes l’oreille au vent, au hululement du vent indifférent qui se fraie un chemin entre les chênes verts, les pins, les ravines, et tu te dis, éternel espoir naufragé, que les voix se rapprochent, que quelqu’un – un enfant peut-être, ou bien un homme – a entendu ton éternelle lamentation, ta voix perdue, tes sanglots, et qu’il arrive pour t’apporter la consolation, l’eau et la liberté enfuie.» Ainsi commence Dans le tourbillon, la dernière petite merveille des éditions Attila. Dans un recoin complètement désolé des Pyrénées aragonaises, un homme est ligoté à un arbre et s’adresse à son plus fidèle compagnon… sa mule. Avec la chaleur et la soif, la cohérence s’est rapidement évaporée de son discours, ne laissant place qu’à un délire obsessionnel. Comment ce pauvre hère en est-il arrivé là ? Qui pouvait bien nourrir une haine si importante à son égard, et pour quelles raisons ?

Première traduction de José Antonio Labordeta, un écrivain et homme politique aragonais décédé l’année dernière, ce superbe roman met en scène une poignée de villageois assoiffés de pouvoir tandis que les rumeurs de la Guerre civile servent de révélateur pour des tensions déjà bien palpables. C’est-à-dire que cet univers essentiellement masculin repose sur un équilibre des plus précaires. Si chacun joue un rôle clairement défini dans ce microcosme, combien de temps les villageois supporteront-ils encore que l’usurier – un Juif, qui plus est – s’enrichisse à leurs dépens ? Combien de temps faudra-t-il avant que ça ne dégénère en chasse à l’homme… ?

Force nous est de reconnaître que la puissance d’évocation de la scène inaugurale est à l’image de l’ensemble de ce roman polyphonique, envoûtant et mystérieux, dont l’époustouflante construction narrative épouse à merveille la métaphore du tourbillon. Ce mouvement circulaire dont l’amplitude et la magnitude augmentent de concert jusqu’à essoufflement, c’est d’abord celui qu’effectue le récit : la narration tourne autour de cette scène effroyable en brassant toujours plus d’informations à chaque voyage jusqu’à ce que la lumière soit faite sur ce qui s’est passé. Mais c’est aussi et surtout celui de cette communauté d’hommes, pris dans un engrenage de turbulence et de violence qui finit immanquablement par les dépasser. Choisi à la perfection, ce titre est enfin celui d’un véritable chef d’oeuvre digne des plus grands écrivains espagnols (comment ne pas penser à Julio Llamazares ou à Ramon Sender ?), porté en français par une traduction exemplaire signée par Jean-Jacques et Marie-Neige Fleury.

  • Le choix des libraires : Au pays des mensonges (2 choix)Etgar Keret Actes Sud, Arles, France– 14/07/2012

Etgar Keret n’en est pas à son coup d’essai, et décidément, il est aussi à l’aise dans le genre de la nouvelle qu’un poisson dans l’eau. Aussi est-ce avec un plaisir toujours renouvelé que l’on se plonge dans ses textes si parfaitement aboutis. Et autant vous dire que son quatrième recueil, intitulé Au pays des mensonges, ne fait pas office d’exception ! Si les personnages imaginés par ce génial écrivain israélien évoluent le plus souvent dans environnement dont la violence les dépasse au point où ils ne sont même plus en mesure de la remettre en question, cela ne les empêche jamais d’essayer d’insuffler une bonne dose d’enthousiasme dans leur quotidien. En effet, ils ne baissent jamais totalement les bras et s’efforcent toujours de trouver une source de consolation à leurs malheurs. En un mot, ils ont foi en la vie, et ça fait du bien ! Ainsi, dans la nouvelle éponyme, un fieffé menteur se retrouve un jour confronté à tous les personnages auxquels il a donné naissance au fil de ses mensonges, dont l’existence est liée à des événements toujours plus dramatiques les uns que les autres. Prenant dès lors conscience de la portée de ses inventions, il va décider de changer son fusil d’épaule pour n’inventer désormais que des choses gaies, des heureux événements. Mais comme son imagination se révélera finalement moins fertile dans ce domaine que dans celui des scénarios catastrophe, il finira par choisir la solution la plus simple : mentir le moins souvent possible ?

Profondément marquées par le contexte politique qui a vu grandir l’écrivain, ces nouvelles n’en possèdent pas moins une dimension universelle, d’autant que l’imagination de leur auteur n’est pas sans évoquer l’univers d’un certain Lewis Carroll. En bref, on adore !

  • Le choix des libraires : Eva dort (2 choix)Francesca Melandri Gallimard, Paris, France– 14/07/2012

Fermez les yeux, détendez-vous, et imaginez… Un facteur sonne à une porte pour remettre un paquet à une certaine Eva Huber. C’est sa mère, Gerda, qui ouvre. Quand elle reconnaît l’écriture, elle répond sans tergiverser que sa fille n’en veut pas, et que de toutes les façons, elle est en train de dormir. Retour à l’envoyeur. 1397 km aller, 1397 km retour.

Ce chemin, cette traversée du pays du nord au sud, c’est aussi celui que va parcourir plus de vingt ans plus tard la même Eva (pleinement réveillée, cette fois-ci), afin de se rendre au chevet d’un homme qui avait compté parmi les figures marquantes de son enfance avant de disparaître mystérieusement. Notre quadragénaire va dès lors profiter de ce long voyage ferroviaire, qui la mène de sa région natale chargée d’Histoire, le Tyrol du Sud/Haut-Adige, à la Calabre, pour faire le bilan de sa vie. Et en parallèle, on va découvrir l’histoire passionnante de sa mère, que la vie n’a vraiment pas épargnée.

Mais au-delà de ces magnifiques portraits croisés de femmes et du récit d’une histoire familiale riche en tragédies, en secrets, en violence et en situations délicates, le lecteur est plongé dans l’histoire mouvementée du nord de l’Italie. On se retrouve ainsi au coeur du Tyrol du Sud/Haut Adige, du lendemain de la Première Guerre mondiale, où il a été décidé par les grandes puissances que l’Autriche cèderait cette région à son voisin du sud, à la fin du XXe siècle et à la mise en place de l’espace Schengen. Entre les deux se sont succédé la politique d’italianisation forcenée menée par Mussolini, l’Option proposée par Hitler à la veille de la Seconde Guerre mondiale pour permettre l’installation en Autriche de ceux qui le souhaitaient (faut-il y voir une coïncidence ? Non seulement ces habitants parlaient allemand, mais en plus ils étaient blonds à la peau claire et aux yeux bleus), puis l’apparition et la multiplication d’actes terroristes, et enfin les efforts politiques de pacification de la région. L’histoire du Sud du Tyrol/Haut-Adige est d’autant plus passionnante qu’elle est non seulement inédite à nos yeux de lecteurs français, mais les Italiens eux-mêmes n’avaient apparemment aucune idée de ce qui se passait dans le nord de leur pays. En même temps, on voit se développer le tourisme hivernal alors que les remontées mécaniques commencent à faire leur apparition, et peu à peu, cette région qui semblait pourtant si reculée et si isolée va s’ouvrir au monde et accepter de se moderniser.

Ce n’est donc pas étonnant que ce roman remporte un tel succès, non seulement en Italie, mais également dans tous les pays où il a été traduit. Et force nous est de reconnaître que nous ne faisons pas figure d’exception face à un tel engouement ! Entre sa construction impeccable, sa forte charge émotionnelle, le caractère captivant de son sujet et la finesse de ses analyses psychologiques, Eva dort s’impose comme un livre rare dans lequel on s’installe comme dans un vieux fauteuil et duquel on n’est pas facilement délogé !

  • Le choix des libraires : La traductrice (1 choix)Efim Etkind Interférences, Paris, France– 13/07/2012

Étonnante découverte que la dernière petite merveille des éditions Interférences ! Écrit par un Efim Etkind (1918-1999), grand spécialiste de littérature russe, co-auteur d’une ambitieuse Histoire de la littérature russe éditée chez Fayard, La traductrice se présente comme un récit surprenant d’une vingtaine de pages qui relate l’histoire de la traductrice du Don Juan de Lord Byron. Arrière-arrière-petite-nièce de Nikolaï Gnéditch, le traducteur de L’Iliade en russe, Tatiana Grigorievna Gnéditch a traduit les quelques 17 000 vers que compte le chef d’oeuvre de Byron dans des conditions quelques peu particulières. Tour à tour enseignante, traductrice et interprète, cette femme à la personnalité des plus tranchées s’est dénoncée elle-même auprès du Régime pour avoir envisagé un peu trop sérieusement de se rendre dans le bloc de l’Ouest. Condamnée à purger une peine de dix ans dans un camp de redressement, elle passa les deux premières années de sa peine dans une cellule du NKVD. Mais un heureux hasard attribua à notre détenue un interrogateur cultivé qui, sensible à son entreprise inédite de traduction, se mit en tête de la faciliter, pour finalement en assurer lui-même la diffusion.

Comment ne pas penser au Liseur de Schlink et au personnage d’Hanna qui apprend à lire en prison, au célèbre joueur d’échecs de Zweig qui s’est servi de ce jeu pour ne pas sombrer dans la folie pendant toute la durée de son internement et de sa torture, ou encore aux nombreux personnages de bourreaux éclairés qui parsèment la production littéraire du XXe siècle (à l’instar de La liste de Schindler, Les bienveillantes ou encore Le violon d’Auschwitz) ? Mais en dépit de ses faux airs de conte désenchanté, gardez bien à l’esprit que cette histoire est authentique…

  • Le choix des libraires : L’urgence et la patience (2 choix)Jean-Philippe Toussaint Minuit, Paris, France– 09/07/2012

Chez tout autre écrivain, une telle démarche pourrait nous sembler au mieux dénuée d’intérêt, au pire complètement présomptueuse. Qu’un auteur ose consacrer un livre à son activité d’écrivain au lieu de nous régaler avec un nouveau roman pourrait même avoir de quoi nous déconcerter. Après tout, n’est-ce pas le rôle d’un biographe ou d’un critique ? Mais qui mieux que Jean-Philippe Toussaint pourrait nous parler de lui-même (la preuve avec son Autoportrait (à l’étranger) qui vient de sortir dans la collection Double) ? N’est-ce pas alors le but des conférences comme celles que nous organisons dans nos salons (à l’instar de celle qui se déroulera avec ce même écrivain le 29 mars prochain) ? Sans doute est-ce insuffisant et trop volatil… C’est ainsi que L’urgence et la patience s’adresse aux fervents lecteurs de ce grand romancier contemporain ainsi qu’à tous ceux qui aiment à pénétrer dans l’intimité des écrivains en mettant un pied dans leur petite fabrique de livres. Dans ce recueil de textes, dont certains inédits, nous sont dévoilés quelques uns des secrets d’écriture de leur auteur. On touche à ce qu’il y a de plus intime. Jean-Philippe Toussaint y évoque en effet les grands auteurs qui l’ont influencé, les lectures qui ont déclenché en lui le besoin d’écrire, le lien qui l’unissait au célèbre éditeur qui l’a découvert, les lieux qui l’ont vu écrire et ceux qu’il a façonnés grâce à ses souvenirs et à son imagination, sans oublier ses outils de travail, et surtout, sa conception de l’écriture, qu’il définit comme un équilibre à trouver entre l’urgence d’une part, et la patience de l’autre. Il y est aussi question de style, de techniques narratives et de rythme. «Quand on a trop le nez dans le manuscrit, l’oeil dans le cambouis des phrases, on perd parfois de vue la ligne du livre. Or j’aime me représenter le livre comme une ligne. J’aime cette abstraction, où la littérature rejoint la musique, et où la ligne du livre ondule, monte, descend, au gré de pures questions de rythme.» Quiconque a eu le bonheur de lire un roman de Jean-Philippe Toussaint sait que cette question de rythme est au coeur de ses préoccupations. En effet, le rythme ondulatoire de ses phrases et de ses récits, manifestement marqués par l’alternance de temps forts et d’accalmies, nous donne parfois l’impression que leur auteur est tout à la fois compositeur et écrivain. Et finalement, au fil de pages et des apartés se dessine la silhouette de l’homme, avec son humour, son sens de l’auto-dérision mais aussi ses doutes.

Vous l’aurez compris, si vous faites partie du cercles des lecteurs comblés qui ont découvert ce grand écrivain avec La télévision, L’appareil-photo ou La salle de bain, et qui sont tombés sous le charme de sa magnifique trilogie sur Marie, L’urgence et la patience ne pourra que vous procurer un moment de lecture privilégié.

  • Le choix des libraires : Nos vies désaccordées (3 choix)Gaëlle Josse Autrement, Paris, France– 09/07/2012

«Bonsoir Monsieur Vallier,

Je visite souvent votre site et je me permets aujourd’hui de venir vous y témoigner ma reconnaissance. Grâce à vous, la musique fait partie de ma vie et je tenais à vous le dire. J’espère avoir la chance de vous entendre un jour en concert.

Bien sincèrement,

Philippe Margeret.

P.-S. : La façon dont j’ai découvert vos enregistrements vous surprendra peut-être : je suis infirmier psychiatrique à Valmezan dans les Hautes-Pyrénées et l’une de nos jeunes patientes écoute vos CD à longueur de journée, ceux de Schumann en particulier, et j’ai eu envie de les acheter.»

Du jour où il reçoit cette lettre, François Vallier, pianiste de son état, ne peut plus continuer à vivre comme avant. Pratiquement du jour au lendemain, il va tout quitter pour essayer de rattraper ses erreurs et le temps perdu en retrouvant la trace de son amour de jeunesse, à qui il a pourtant causé bien du tort. Après ses magnifiques Heures silencieuses, qui avait remporté notre Prix Lavinal l’année dernière, Gaëlle Josse signe un deuxième roman empreint de délicatesse et de sensibilité. Le narrateur de Nos vies désaccordées nous invite à effleurer l’histoire de sa passion amoureuse et surtout d’assister à sa remise en question après des années d’une conduite aveuglément dictée par l’égoïsme. Il nous rappelle que nous sommes parfois tellement obsédés par l’écriture de notre propre histoire que nous ne mesurons pas à quel point nos proches nous laissent le champ libre pour déterminer le cours de leur vie. Ce petit roman délicieusement désuet vient confirmer le talent d’une jeune romancière qui semble bien décidée à explorer des registres très différents tout en conservant le ton qui lui est propre.

  • Le choix des libraires : L’invisible (3 choix)Robert Pobi Sonatine éditions, Paris, France– 09/07/2012

«Un thriller génial ! Un premier roman dont on n’a pas fini d’entendre parler. Votre libraire l’a dévoré en deux jours…»

Ce commentaire dithyrambique orne depuis deux jours un de nos fameux petits cartons que nous avons apposé sur la couverture de la dernière publication des éditions Sonatine : Robert Pobi, L’Invisible. Il est quelquefois assez difficile de résumer en une formule l’impression laissée par la lecture fiévreuse d’un tel livre. La presse et les médias ne se sont pas encore vraiment emparé de cette parution toute récente (la semaine dernière), mais gageons sur un bouche-à-oreille formidable qui ne va pas tarder à s’amplifier : nous nous souvenons du phénomène d’Avant d’aller dormir, premier roman d’un inconnu S.J Watson, sorti exactement à la même date l’année dernière chez Sonatine. Gageons de même que cette nouveauté va bientôt devenir un des polars de l’été et de l’année, car L’Invisible frappe bien plus fort !

Le Canadien Robert Pobi nous amène dans la ville de Montauk (Nouvelle-Angleterre), dévastée par un ouragan qui emporte tout sur son passage dès l’ouverture du roman : comment ne pas penser que ce déluge aura des résonances tant matérielles que symboliques, les fantômes refaisant alors surface ? L’Apocalypse n’est pas loin, en effet : l’agent spécial du FBI Jake Cole, acteur central de cette intrigue, est un homme au corps entièrement tatoué du 12ème chant de L’Enfer de Dante, réminiscence d’un passé tortueux qui n’a pas de mal à se rappeler à lui en la personne de son vieux père Jacob atteint de la maladie d’Alzheimer et qui vient de frôler la mort : celui qu’il a fui pendant trente-trois ans a besoin d’être maintenu en maison de repos quand débute l’action, soit trois jours avant le déchaînement des éléments et… de la «vraie» folie. Ce difficile retour dans la maison familiale, jonchée de détritus mais également des peintures de Jacob Coleridge, créateur visionnaire à l’égal de Jackson Pollock ou de Francis Bacon, ne serait rien si un appel à la collaboration de Mike Hauser, le shérif du coin, ne rappelait pas Jake à de sombres souvenirs de jeunesse. La macabre découverte de deux corps écorchés vifs fait alors écho à l’assassinat non résolu de la mère de cet agent fédéral, retrouvée dépecée de la même terrifiante manière en 1978, sans qu’aucun suspect ne soit appréhendé. A l’instar de ce père honni mais célèbre, Jake a développé un don particulier d’observation très développé pour lire les scènes de crime, comme si lui-même pouvait en reconstituer les moindres nuances à partir des indices laissés par la palette du meurtrier : «je peins les morts», résume-t-il justement à la fin du chapitre 7. Fort de cette acuité exceptionnelle et malgré les mises en garde de son père, Jake ne tarde pas à identifier cette nouvelle affaire à son propre traumatisme qui l’a conduit à exercer ce métier, à tomber comme son père dans l’alcool et la drogue, puis à s’échapper à New York. Et si le fil invisible, la pièce manquante de ce puzzle sanglant se nichait dans l’héritage des milliers de portraits du même «homme sans tête» exécutés par ce père halluciné et abandonnés à l’intention de Jake, tel un vaste code à déchiffrer ? Pourquoi Jérémy, le fils de Jake venu avec sa mère le retrouver à Montauk avant l’imminence de la tempête, parle-t-il d’un mystérieux individu qu’il nomme «l’homme du sol» et qui ressemble étrangement à cet «homme de sang» («Bloodman» est le titre original du roman) reproduit tant de fois par Jacob ?

Quand le lecteur croit détenir une piste, deviner l’identité de l’écorcheur, sachez que vous n’êtes pas du tout au bout de vos surprises avec ce thriller original et machiavélique qui n’est pas sans rappeler, monde de l’art oblige, l’excellent premier roman de Jesse Kellerman, Les Visages (2009 aux éditions Sonatine puis repris en collection Points). Car la fin, oedipienne à souhait, déjoue TOUTES les hypothèses échafaudées – la lecture de ce blog en dit bien moins qu’il n’y paraît – et laisse véritablement ébranlé par tant de virtuosité. L’Invisible de Robert Pobi vous convaincra à coup sûr que les meurtriers ne sont pas les seuls artistes que l’on soupçonne trouver, même au fond de l’ enfer !