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L’imitation du bonheur

Auteur : Jean Rouaud

Date de saisie : 13/09/2007

Genre : Romans et nouvelles – francais

Editeur : Gallimard, Paris, France

Collection : Folio, n 4590

Prix : 7.90 €

ISBN : 978-2-07-034712-4

GENCOD : 9782070347124

Sorti le : 13/09/2007

  • Les presentations des editeurs : 09/01/2008

En 1871, une Constance Monastier, jeune epouse d’un maitre soyeux des Cevennes, n’a a priori rien a partager avec un Octave Keller, proscrit de la Commune de Paris, rechappe de la semaine sanglante et de ses 30 000 morts. Tout les oppose, leur milieu, leurs convictions, et pourtant c’est bien cette Constance qui profitera d’un incident de parcours pour fausser compagnie aux autres voyageurs, et fuir a travers les monts cevenols avec ce vagabond fievreux trouve blesse sur le chemin. Octave aura trois jours pour donner a la jeune femme une autre image de ceux qu’on appelle les communeux. De quoi evoquer la haute figure de l’Admirable, autrement dit d’Eugene Varlin, de quoi la convaincre que la justice et la generosite font un tres honnete programme, de quoi le reconcilier, lui, hante par les visions du massacre, avec le meilleur de la vie, de quoi decouvrir ensemble que l’amour n’a pas deserte, alors que tout autour le monde ancien bascule dans la modernite, que le cheval cede devant le train, que le cinema s’annonce, et que le roman en aura bientot fini avec ce genre d’histoires…

  • Les courts extraits de livres : 09/01/2008

Il est plus honnete de confesser immediatement a quel point je suis peu accessible au desir d’exactitude.
Robert Louis Stevenson

A quoi je peux ajouter tout aussi honnetement qu’un voyage en diligence, comme celui qui devrait vous conduire du Puy-en-Velay a Saint-Martin-de-l’Our, a priori, ce n’est pas dans mon registre. Mon registre, ce serait plutot celui de la chenille processionnaire du pelerin. Je ne sais si on en croise en vos montagnes des Cevennes, mais c’est surprenant de tomber dans un sous-bois sur ces longues cordelettes constituees de milliers de chenilles a la queue leu leu, dessinant en travers du sentier des arabesques mouvantes. Et si je mentionne cette extravagance naturelle, c’est que j’y vois un lien avec mon travail. Il vous suffit de remplacer les chenilles par des mots, et vous avez devant vous, virtuellement devant vous, un adepte de la phrase processionnaire du pelerin. Pelerin de son imaginaire, s’entend. Ce qui predispose peu, ces deambulations de l’esprit, a prendre en charge une histoire comme la votre. Vous ne le savez pas, bien sur, puisque dans le cas contraire il vous faudrait litteralement lire dans l’avenir, c’est-a-dire, d’ou vous etes, regarder par-dessus tout le XXe siecle pour prendre connaissance de mes livres – ce qui, quand meme seriez-vous dotee d’un formidable don de voyance prophetique, pose d’enormes problemes, ne serait-ce que celui de tourner les pages a plus de cent ans de distance – mais la chose serait-elle possible, vous constateriez qu’il n’est pas dans ma facon d’embarquer a bord de mes ouvrages des vies etrangeres a mon univers.

Du moins ce ne l’etait pas. J’avais jusqu’a maintenant regulierement repousse les pretendants a ce periple romanesque, leur expliquant qu’avoir accueilli une tante Marie dans mes ouvrages ne m’obligeait pas a m’interesser a toutes les cousines Bette, qu’avoir respire les gaz de combat au cours du premier conflit mondial – oui, on en viendra a ce genre de methode – ne faisait pas de moi le porte-parole des anciens combattants, et que l’evocation pluvieuse de ma terre d’enfance renvoyait moins a la Loire-Inferieure qu’aux petits hommes vetus d’un manteau de paille courant sous l’averse dans une estampe japonaise.

(On vient d’en faire la decouverte. Ces gravures colorees en a-plat, sortes de chroniques illustrees de la vie quotidienne au Japon, servaient a emballer les objets de porcelaine en provenance d’Extreme-Orient. On imagine la surprise du receptionniste, qui peut-etre prefera ces reproductions historiees dont il decora sa chambre au precieux service a the qu’elles protegeaient, mais ce sera d’une grande influence sur l’art de votre temps. Et je dois avouer que d’admirer ces series representant les etapes d’un voyage entre Tokyo et Kyoto, par la route du Tokaido, m’aide a envisager votre periple futur entre Le Puy et Saint-Martin-de-l’Our. Ce qui a premiere vue fait moins rever, mais on se trompe, toute route est le Tokaido.)

Mais j’avais beau plaider pour ma chapelle et sa faible capacite d’accueil, rien a faire, de sorte que tous ceux qui se presentaient a moi en m’affirmant que leur vie etait un roman – sous-entendu bien meilleur que les miens – parce qu’ils avaient connu la misere, la guerre, pratique cent metiers, avale des lames de rasoir, croise Dieu, localise l’Atlantide, aime a tort et a travers, vecu au milieu de nulle part, trace droit un sillon, ou laboure la face cachee de la Lune, je les dissuadais bien vite, inutile qu’ils insistent, je ne leur preterais pas ma plume, ils se trompaient, je n’etais pas le bon auteur. Et j’etais persuade qu’il en serait toujours ainsi, que je continuerais, sans rien demander a personne, a nourrir mes phrases d’entrapercus du monde et d’ondulations de ma pensee, jusqu’a ce que votre histoire, au hasard d’une marche sur le mont Lozere et du decryptage de votre nom grossierement grave sur une pierre, m’echoie entre les mains. Ce qui a change considerablement ma facon de voir, car vous, c’est-a-dire la plus belle ornithologue du monde, et nul besoin qu’on me dresse le catalogue des pretendantes a ce titre pour en etre convaincu, forcement on y regarde a deux fois.