Auteur : Eve Charrin
Date de saisie : 18/12/2007
Genre : Documents Essais d’actualite
Editeur : Grasset, Paris, France
Collection : Essai
Prix : 20.90 / 137.10 F
ISBN : 978-2-246-71381-4
GENCOD : 9782246713814
Sorti le : 03/10/2007
- Les presentations des editeurs : 08/12/2007
Une grande puissance peur en cacher une autre.
Plus encore que la Chine, c’est l’Inde qui change la donne economique mondiale. Et pour cause : elle mise d’emblee sur l’exportation de services a haute valeur ajoutee, qui etaient jusqu’alors l’exclusivite des pays developpes. L’Inde empiete sur notre domaine reserve : la matiere grise. Et le secret de son succes spectaculaire, c’est, tout simplement, l’inegalite. Au coeur d’un pays pauvre, les brillants ingenieurs indiens peuvent vivre comme des nababs avec un salaire qui, une fois converti en euros, ne pese pourtant pas lourd.
Resultat, les emplois qualifies se creent par centaines de milliers dans une Inde metamorphosee en eldorado. Pour la middle class indienne eduquee, la mondialisation est une chance historique. Comme Lakshmi Mittal, leur heros, des millions de jeunes Indiens ambitieux revent maintenant de partir a l’assaut de notre monde. Or, ce qui se joue ici depasse l’economie. Sans nous en rendre compte, nous importons, en meme temps que les logiciels concus a New Delhi ou Bangalore, les caracteristiques de la societe indienne : l’elitisme et les inegalites.
Deux ingredients explosifs pour une societe francaise attachee aux vertus de l’egalite et aux acquis sociaux. Entre les Indiens et nous, la mondialisation cree un conflit inedit. Il est temps pour la France de se poser la question de l’Inde.
Eve Charrin est journaliste. Elle a vecu trois ans en Inde et publie regulierement sur des sujets economiques et internationaux.
- Les courts extraits de livres : 18/12/2007
Extrait de l’introduction :
Pourquoi nos rivaux sont indiens (et pas chinois)
Le monde change. Nous le savons bien, nous qui avons d’abord ete obsedes par la montee en puissance du geant chinois. Depuis que le milliardaire indien Lakshmi Mittal s’est offert Arcelor, le fleuron europeen de l’acier, en 2006, nous avons appris qu’il faudrait compter aussi avec l’Inde, l’autre poids lourd asiatique, fort comme la Chine d’une population de plus d’un milliard d’hommes. Entre les promesses que font miroiter ces nouveaux marches et les menaces que constituent les delocalisations massives, la mondialisation se confond desormais pour nous avec l’ascension a grande vitesse de ces deux pays aux dimensions titanesques, l’Inde et la Chine, dont les noms sont systematiquement accoles. Et la mondialisation nous fait peur : un peu plus de la moitie des Francais jugeraient ses effets negatifs.
Attention ! Une grande puissance emergente peut en cacher une autre
Autant le dire d’emblee, ces peurs ne sont pas tout a fait infondees venant d’une classe moyenne francaise exposee depuis peu a une concurrence massive. Seulement, une grande puissance peut en cacher une autre. Amalgamer l’Inde et la Chine, c’est negliger ce qu’il y a de radicalement nouveau dans les rapports de force economiques mondiaux. Car c’est l’Inde, plus encore que la Chine, qui change la donne planetaire. L’Inde ? Curieuse preeminence, direz-vous, parce que tout de meme, la pauvrete y est massive, extreme, choquante : a maints egards l’Inde ressemble plus a un pays desherite d’Afrique subsaharienne qu’a une grande puissance economique du XXIe siecle. Et puis les infrastructures du sous-continent sont franchement calamiteuses, propres a faire fuir les investisseurs industriels etrangers. Les routes sont defoncees, l’electricite aleatoire, l’eau potable introuvable. Pour ne rien arranger, les procedures administratives y sont affreusement longues et complexes : pour certains, c’est la faute a la democratie – il serait plus juste d’accuser une bureaucratie opaque et omnipresente, royaume des babus, ronds de cuir a l’indienne. Tout cela est vrai. Mais justement : a cause des handicaps monumentaux qui pesent sur sa competitivite industrielle, l’Inde a choisi une autre facon de s’inserer dans le commerce mondial. Une voie etroite, mais efficace et pour nous autrement plus redoutable : par le haut. C’est-a-dire, par les services a haute valeur ajoutee, par la matiere grise. Parce que l’Inde est une veritable machine a elites : les etablissements d’enseignement superieur indiens produisent chaque annee pres de 300000 jeunes ingenieurs fraichement diplomes. Le secteur de l’informatique et des autres services delocalises devrait employer deux millions de personnes dans le sous-continent en 2009.
Ricardo et l’avantage comparatif : la vulgate de l’elite
Seulement, nous n’avons pas pris la mesure de ce phenomene indien. Ni de ses consequences sur nos pays developpes. Et pour cause : il y a en France une pensee unique de la mondialisation. A defaut d’etre pertinente, elle est coherente, et dans une certaine mesure, rassurante. Voici cette vulgate de l’elite. La Chine devient l’usine du monde ? Soit. Tant mieux pour nous, elites, classes moyennes, ouvriers, ici reunis dans la grande confrerie des consommateurs. Nous paierons, nous payons deja moins cher nos vetements, nos jouets, nos televiseurs… Bon, evidemment ce n’est pas une tres bonne chose pour les emplois ouvriers de nos pays riches – pour l’heure, les grands perdants de la nouvelle donne economique mondiale. Eh bien, tant pis pour eux ! Admettons-le : nous avons fait notre deuil de la classe ouvriere. Meme si l’annonce d’une delocalisation industrielle reste toujours deplaisante, nous en avons pris notre parti. Nous, c’est-a-dire cette fois la classe moyenne qualifiee et la classe dirigeante francaise, avec un bel ensemble – hypocrite lecteur, mon semblable, mon frere, comme l’ecrivait Baudelaire. Et pour venir a bout d’eventuels scrupules, il y a l’irremplacable David Ricardo.