Auteur : Jean Rolin
Date de saisie : 16/02/2008
Genre : Romans et nouvelles – francais
Editeur : Escampette, Chauvigny, Vienne
Prix : 18.00 / 118.07 F
ISBN : 978-2-914387-96-5
GENCOD : 9782914387965
Sorti le : 15/02/2008
- Les presentations des editeurs : 14/02/2008
La bibliographie de Jean Rolin est surtout composee de livres de voyages insolites, de temoignages decales et de souvenirs aventureux. Il est aussi l’auteur de quelques romans grouillants de personnages indecis ou se deploie avec precision toute une connaissance des lieux marginaux, anciennes colonies, pays frontaliers, ports monstrueux, etc. L’or du scaphandrier, de cette veine romanesque, fait preuve d’une belle generosite : tout y est ! Un scenario deroutant et maitrise ou se croisent les multiples parcours de heros rocambolesques, des decors hallucinants, des amoureuses manipulatrices, des putains romantiques, des capitaines de vaisseaux fantomes ! Et, par-dessus tout, ce gout immodere de la langue, de sa grammaire, de sa fantaisie, de ses precisions deconcertantes, qui place Jean Rolin au premier plan de nos ecrivains contemporains.
- Les courts extraits de livres : 14/02/2008
Les eaux du fleuve sont noires et comme stagnantes, de la gelee d’anthracite sentant l’egout et la carpe. Des lumieres par intermittence s’y refletent, a moins que la masse sombre d’un bois ne vienne intercepter toute clarte. La rumeur indistincte des autoroutes ne couvre pas les bruits menus que font en barbotant les petits animaux, dont l’un ou l’autre parfois decrit une trajectoire brillante a la surface. Dans sa lente derive vers l’aval, la barque du capitaine Pithivier heurte des objets mous, sacs-poubelle, bouteilles d’eau minerale, poissons morts aux tripes dilatees par les gaz fetides. Sur le chemin de halage, l’eclairage au sodium decoupe la silhouette des rares promeneurs vaquant juste avant le lever du jour a des occupations indecises. Saisi par le froid de l’aube, Papa Dioula boit au goulot une gorgee de rhum Negrita, puis recrache en sacrant contre le fleuve et la nuit, qui en ont vu d’autres. Pour la septieme fois, la Gitane papier mais du Capitaine s’est eteinte entre ses levres closes. Lorsque Papa Dioula jure en recrachant son rhum, il lui lance de biais un regard mi-plaintif, mi-exaspere, comme s’ils etaient non pas en train de deriver sur la Seine, un peu en aval de l’ile Seguin, mais, pendant une operation nocturne de debarquement, a quelques instants de prendre pied sur un rivage hostile. Quelque chose comme Guadalcanal. Sicut nubes, quasi naves, velut umbra. Cette manie qu’a le Capitaine, dans les circonstances solennelles, de s’exprimer par citations, de preference grecques ou latines et choisies dans les Ecritures, est au nombre des deux ou trois choses que Papa Dioula ne lui passe que difficilement, par fidelite a un passe lointain, si flou qu’aujourd’hui l’un et l’autre se demandent s’ils n’ont pas forge de toutes pieces leurs souvenirs communs d’ile au tresor, de trafics innommables, de fleuves charriant des immondices autrement etonnantes que les residus domestiques qui cette nuit les accompagnent au fil de l’eau. Sur la rive gauche, le long d’un parc obscur, court une grille en fer forge abattue sur une dizaine de metres par un accident de la circulation. C’est la que le Capitaine echoue sa barque, parmi les herbes du bord, apres avoir d’un geste invite Papa Dioula au silence. Bien loin d’obtemperer, celui-ci, qui ne se tient debout dans la barque qu’avec difficulte, racle bruyamment sa rame contre la lisse, puis se lance dans une interpretation rocailleuse de la celebre chanson : Nous etions quinze sur le coffre a l’homme mort, Yohoho et une bouteille de rhum. Les aboiements d’un chien pavillonnaire font echo a l’appel eloigne d’un train de banlieue. Un animal non identifie emet une note breve. Papa Dioula s’est tu. Enfin tous deux franchissent dans le noir, sur la pointe des pieds, la cloture abattue.
Jadis, a Moanda, sous les manguiers poussiereux de la Pointe Francaise, le scaphandrier tenait un petit estancot a l’enseigne des Ultimi Barbarorum. Du comptoir, par beau temps, on jouissait d’une vue imprenable sur les 80 000 metres cubes a la seconde que le Congo debite au maximum de sa puissance, sur les torcheres de la rive angolaise, et sur une demi-douzaine de pieces d’artillerie emmaillotees comme des statues dans un parc, la veille de l’inauguration. L’epave d’un patrouilleur belge a la cheminee blanche, assise sur le fond dans l’ombre clairsemee des palmes, haussait au-dessus des eaux grondantes sa hune piquee de rouille et de chiures d’oiseaux. 80000 metres cubes a la seconde, et ces vestiges d’une guerre ancienne confrontes aux signes avant-coureurs d’une autre qui tardait a venir, cela donnait a penser, se disait le scaphandrier derriere son comptoir. Penser a quoi, c’etait une autre affaire : ce n’est deja pas si mal lorsqu’un spectacle donne a penser, meme si l’accident se produit alors qu’on n’a rien sous la main pour rassasier cette voracite soudaine et passagere de l’esprit.
Asperges op zun vlaams, frituur ! Le scaphandrier etait a sa maniere un poete de l’ecole symboliste, natif de Roeselare, qui en vingt ans de carriere avait vu bien des fleuves aller a la mer, bien des regimes aller a vau-l’eau, et bien des hommes aller au petit bonheur, certains tombant ca et la, d’autres tirant tant bien que mal leur epingle du jeu.