Auteur : Jean Anouilh
Date de saisie : 13/03/2008
Genre : Theatre
Editeur : Table ronde, Paris, France
Collection : La petite Vermillon
Prix : 10.00 / 65.60 F
ISBN : 978-2-7103-3041-7
GENCOD : 9782710330417
Sorti le : 13/03/2008
- Les presentations des editeurs : 05/04/2008
L’Hurluberlu ou le Reactionnaire amoureux.
La Grotte.
L’Orchestre.
Le Boulanger, la Boulangere et le Petit Mitron.
Les Poissons rouges ou Mon pere, ce heros.
- Les courts extraits de livres : 05/04/2008
PREMIER ACTE
Le bureau du General. Armes, souvenirs coloniaux, une carte de France au mur avec des petits drapeaux. Paysage typique de province francaise avec un clocher dominant une petite ville par la fenetre. Deux portes-fenetres donnent sur un jardin. En scene, le General et le Docteur. Le General est en robe de chambre, le Docteur l’ausculte.
LE GENERAL. – Nomme general de brigade par decret du Ier fevrier. Trente-huit ans aux fraises ! C’etait joli, convenez-en. J’enleve enfin mes ficelles, je me colle mon etoile sur la manche, et je me dis : Ca y est ! Avec un peu de chance, l’Europe explose, une jolie campagne et je demarre. Le 27 du meme mois, cent quatre-vingts jours d’arrets de forteresse, pour avoir conspire contre le regime. Ils me collent a Pontsegur, dans les Pyrenees, batiment du XIVe, remarquablement ameliore par Vauban au point de vue defense, mais pas du point de vue confort. Il faisait un froid, mon ami ! Je crevais la-dedans. Et les deux couvertures reglementaires ! Ils me l’appliquaient, je vous le jure, le reglement ! La Republique est bonne fille, athenienne comme on dit; c’est tout ronds de jambe, sourires, bureaux de tabac aux dames, facilites aux copains, mais quand elle tient un de ses ennemis : Spartiate, qu’elle redevient !… Cela ne fait rien. Gymnastique quotidienne, douche froide par moins douze ; ils ne me connaissaient pas : je resiste. Ils me liberent le 14 juillet. Tenez-vous bien, en l’honneur de la prise de la Bastille. Me faire ca, a moi ! Ils ont du s’en payer une pinte, les francs-macons du ministere ! Treize jours de remise de peine, pour se donner les gants d’etre genereux, et le camouflet ! Bon. J’avale l’affront et je sors quand meme. Qu’est-ce que vous vouliez que je fasse ? Je ne pouvais tout de meme pas y rester de force, dans leur machin… Ces endroits-la, c’est aussi difficile d’y rester que d’en sortir. Me voila dans la rue, puant la frite et le vin rouge, au milieu de l’allegresse populaire, mon petit baluchon a la main. Je me bouche le nez et les oreilles, j’evite deux ou trois fanfares et j’enfile la route de la gare : sept kilometres en plein soleil. Pas question d’avoir une voiture. Le seul loueur du pays etait l’adjoint au maire socialiste, il m’aurait dit non et moi aussi. Il faisait une chaleur ce jour-la ! Par esprit de contradiction, moi qui avais tenu six mois dans leur caveau (peut-etre parce que j’etais vexe du coup du 14 juillet : moindre defense), je prends un sale rhume. Quatre mois de convalescence, au cours desquels j’apprends ma mise en disponibilite. Le plus jeune general de France et le plus jeune limoge ! J’avais tous les titres : c’etait complet !… Je me retire ici, je me marie, je me mets serieusement aux choux et aux salades, je fais des enfants, mais c’est une activite temporaire : peu a peu l’inaction me pese. Je songe a ecrire mes Memoires, comme tous les generaux. Je mets le titre en haut d’une page : chapitre un. Je pose la plume un instant pour reflechir (imprudence que les generaux ne commettent jamais d’habitude) et je m’apercois que je n’avais rien a dire… La, je vous avoue, mon ami, j’ai eu une faiblesse ! Ma premiere – et la derniere, d’ailleurs. Le trou noir du desespoir, et moi debout, devant, comme un grand imbecile… C’etait donc ca, la vie ?…
LE DOCTEUR. – Je vais vous prendre votre tension.
LE GENERAL. – Soudain, un beau matin, et par hasard (je vous dirai comment tout a l’heure), je decouvre l’existence des vers. J’etais sauve !
LE DOCTEUR, qui a pris son tensiometre. – Des vers ?
LE GENERAL. – Je vous rassure. Je ne me suis pas mis a la poesie. C’etait trop tard. C’est une dame qu’on rencontre jeune. Et je n’ai jamais ete foutu d’ecrire trois mots. Je parle des vrais vers, des petites betes grouillantes. Je me suis apercu que si cela ne tournait plus rond en France, et depuis longtemps, c’est qu’il y avait des vers dans le fruit. Tout etait clair enfin : la France etait vereuse !
LE DOCTEUR, distrait, lui prenant la tension. – Ah ah ?
LE GENERAL. – Le monde entier d’ailleurs. Mais moi, le monde, je m’en fous ! Je suis francais, j’avais d’abord a m’occuper de la France.
LE DOCTEUR, qui a replie son tensiometre. – Dites-moi, general, la France est peut-etre vereuse, mais vous, cela ne va pas fort non plus. Vous savez que vous avez vingt-deux ?
LE GENERAL. – De minimum ?
LE DOCTEUR. – Non, de maximum. Cela suffit. Mais je n’aime pas beaucoup ca ! Mon predecesseur ne s’etait jamais inquiete de ce chiffre ?