Auteur : Jean Anouilh
Date de saisie : 19/03/2008
Genre : Theatre
Editeur : Table ronde, Paris, France
Collection : La petite Vermillon
Prix : 10.00 / 65.60 F
ISBN : 978-2-7103-3046-2
GENCOD : 9782710330462
Sorti le : 13/03/2008
- Les presentations des editeurs : 05/04/2008
Ardele ou la Marguerite.
La Valse des toreadors.
Ornifle ou le Courant d’air.
Pauvre Bitos ou le Diner de tetes.
- Les courts extraits de livres : 05/04/2008
Le hall du chateau.
Deux escaliers montent a une galerie faisant le tour de la piece ou s’ouvrent beaucoup de portes. C’est le matin. La scene est vide ; on entend une voix aigue qui appelle : Leon ! Leon !
Le general surgit d’une porte sur la galerie, en robe de chambre rouge, tres general Dourakine. Il crie, se precipitant vers une autre porte :
LE GENERAL. – Voila, mon amie !
Il parle a quelqu’un d’invisible par la porte entr’ouverte :
Non, ma colombe, non, mon ange. Je m’etais absente une minute, mais j’etais la, dans mon bureau. Je travaillais. Cette nuit ? Non. Je ne vous ai pas laissee cette nuit. Je me suis leve, c’est exact, pour prendre l’air, mais quelques instants : toujours mes etouffements. Plus d’une heure ? Non m’amie, quelques instants seulement… Mais dans le demi-sommeil on perd la notion de la duree : je vous l’ai mille fois explique. Reposez-vous, m’amie… Il est tres tot encore et je m’occupe de tout preparer pour recevoir nos hotes. Oui, mon cher amour, a tout a l’heure.
Il repousse la porte, retourne a celle d’ou il est sorti, l’ouvre. Sur le seuil : la femme de chambre. Il l’embrasse goulument.
LE GENERAL. – Grenache. Grouniere. Goulune. Guenon. Peche. Gros gateau dore. Brioche. Oh ! c’est bon ! c’est bon ! Tu sens le pain chaud du matin.
ADA, impassible, tandis que le general a le nez dans son cou et son corsage. – Le petit dejeuner de monsieur est servi dans son bureau.
LE GENERAL la caresse. – Chaude et vivante, bien ferme sur tes deux colonnes jointes. Le monde existe donc ce matin encore. Tout va bien. On n’est pas seul. Et tu t’en moques, imbecile, et tu attends tout simplement que j’aie fini. C’est bon aussi. Tout a l’heure, quand tu feras la chambre du petit, tu mettras les draps a la fenetre. Je monterai. Je t’ai achete ce que tu voulais.
Une porte s’est ouverte sur la galerie. Nathalie parait. Le general lache la femme de chambre qui est restee impassible ; il lui jette a mi-voix :
File !
Elle disparait dans une autre chambre, passant devant Nathalie sans un regard. Nathalie et le general restent un moment immobiles.
LE GENERAL demande enfin d’une voix un peu cassee. – Je vous degoute, Nathalie ?
NATHALIE, doucement. – Oui.
Elle va descendre. Le general hesite un peu, puis il la rejoint sur l’escalier, il l’arrete.
LE GENERAL. – Vous avez vingt ans, Nathalie, vous etes l’intransigeance et la purete et je suis un vieux miserable.
NATHALIE. – Oui.
LE GENERAL. – Quand vous avez epouse mon fils, cela a ete comme si une fenetre s’ouvrait dans cette grande maison triste. Le premier soir ou vous avez rouvert le piano muet du grand salon, vous etiez si jeune et si belle que j’ai cru que j’accepterais – pour vous – de devenir vieux. Le general blanchi aux recits de bataille, le protecteur desuet et attendri d’une petite bru candide. C’etait un beau personnage a jouer pour en finir… J’avais tout pour le reussir : les souvenirs glorieux, la belle barbe de neige, mon vieux coeur de jeune homme tout neuf sous ma brochette de ferblanterie… Qu’il a ete beau le premier dimanche a la messe avec vous en robe claire a mon bras ! J’ai demande a Dieu ce jour-la de ne jamais meriter votre mepris. Mais c’etait un dimanche. Il devait etre tres occupe. Il n’a pas du m’entendre.
NATHALIE. – Sans doute pas.
LE GENERAL. – Vous pensez que j’aurais du l’aider ? On a toujours tendance a laisser Dieu faire tout, tout seul… Je n’ai pas pu. L’experience m’a malheureusement appris que je pouvais rarement ce que je voulais de bon.
Nathalie. – Pourquoi vous justifier toujours a moi ? Je ne suis que la femme de votre fils et vous etes libre.