Auteur : Jean Anouilh
Date de saisie : 19/03/2008
Genre : Theatre
Editeur : Table ronde, Paris, France
Collection : La petite Vermillon
Prix : 8.50 / 55.76 F
ISBN : 978-2-7103-3047-9
GENCOD : 9782710330479
Sorti le : 13/03/2008
- Les presentations des editeurs : 05/04/2008
Humulus le Muet.
Le Bal des voleurs.
Le Rendez-vous de Senlis.
Leocadia.
- Les courts extraits de livres : 05/04/2008
SCENE PREMIERE
LA DUCHESSE, sorte de personnage fabuleux sur un immense fauteuil a oreilles armoriees. A cote d’elle, l’oncle Hector, un grand hobereau maigre et faisande qui met alternativement son monocle a l’oeil droit puis a l’oeil gauche sans plus de succes. On entend un orchestre.
LA DUCHESSE. – Hector, voici une petite fete qui m’est un plaisir nouveau chaque annee.
HECTOR. – L’orchestre est charmant.
LA DUCHESSE. – Oui. Les musiciens coutent horriblement cher. J’ai du me debattre contre eux comme une marchande.
Entrent les domestiques a la queue leu leu et portant des bouquets.
LA DUCHESSE. – Mes amis. Je suis touchee de votre presence et de vos bonnes intentions. Mais il est des traditions auxquelles une Brignoc ne deroge pas. Je dois entendre les voeux de mes enfants avant ceux de mes gens. Un peu de patience. Mon petit-fils, M. Humulus, ne saurait tarder. Hector, vous vous souvenez de mon petit Humulus ?
HECTOR. – Mal. Il avait, je crois, dix-huit jours lorsque je partis pour les Iles.
LA DUCHESSE. – Vous le trouverez bien change. C’est un bon petit, un peu timide. N’etait son infirmite, il ferait un duc charmant.
HECTOR. – Je crois me souvenir que le pauvre petit est muet ?
LA DUCHESSE. – Etait, Hector, etait ! On voit bien que vous n’etes revenu que d’hier. Dieu a fait un miracle durant votre sejour aux Iles.
HECTOR. – Dieu a toujours protege les Brignoc.
LA DUCHESSE. – Un medecin anglais, a force de soins, est arrive a lui faire prononcer un mot par jour.
HECTOR. – Un seul mot ?
LA DUCHESSE. – Oui, mais il est si petit. En grandissant, nous esperons qu’il pourra en dire davantage. Notez, d’ailleurs, Hector, que si mon petit Humulus s’abstient un jour de prononcer son mot, il peut en prononcer deux le lendemain.
HECTOR. – Il vous serait donc possible de lui apprendre a reciter une de ces petites fables que les bambins de cet age savent ordinairement par coeur ?
LA DUCHESSE. – J’y ai songe. Mais il faudrait trop longtemps. Pour dire : Fors l’honneur, la devise des Brignoc, mon cher Hector, il est oblige de rester trois jours sans parler… Je fais ce petit sacrifice tous les ans au moment de la fete du pays, mais je ne saurais me passer bien longtemps de lui entendre dire son mot. Car, je l’ai exige, Humulus vient me dire son mot chaque matin. Hier, vendredi, par exemple, il m’a dit morue.
Entre le Gouverneur.
LA DUCHESSE. – He bien, Gouverneur, mon petit-fils est pret ?
LE GOUVERNEUR. – Madame la duchesse, le voici. Nous avons longuement cherche, madame la duchesse, ce que dirait M. Humulus, cette annee, a l’occasion du Nouvel An. Il ne manque certes pas de compliments a l’usage des jeunes personnes, mais ils etaient tous sensiblement trop longs. C’est pourquoi j’ai pense que le mot le plus indique, le plus expressif, et, j’oserai dire, le plus raccourci, etait le mot bonheur, madame la duchesse.
LA DUCHESSE. – C’est parfait, Gouverneur.
Le Gouverneur sort et revient en poussant Humulus, grand dadais encore en culottes courtes et s’empetrant dans un immense bouquet. Murmure des domestiques alignes qui se penchent pour le voir.
LA DUCHESSE, l’arretant d’un geste au bout de la file des domestiques. – Monsieur mon petit-fils, avant meme que vous lui offriez vos souhaits, votre grand-mere veut vous dire, la premiere, sa tendresse au seuil de cette nouvelle annee. Depuis que votre pauvre mere est morte, Humulus, c’est moi qui vous aime. Vous avez une grand-mere, il faut en profiter pour l’ecouter. Soyez bon et vaillant comme un vrai Brignoc. Cherissez-moi et ne m’en veuillez pas si je ne vous vois qu’aux grandes fetes. Tout mon temps est pris par mes pauvres. Maintenant, venez m’embrasser et me dire votre mot. Gouverneur, faites arreter la musique, pour que mon petit-fils vienne me dire son mot.
Le Gouverneur sort. La musique s’arrete. Il revient prendre sa place et claque discretement dans ses mains. Alors Humulus, rouge, les sourcils fronces, se met lentement en marche vers la Duchesse. Tout le monde sourit avec attendrissement. (…)