Auteur : Jean-Hugues Matelly | Christian Mouhanna
Date de saisie : 12/10/2007
Genre : Documents Essais d’actualite
Editeur : Michalon, Paris, France
Collection : Document
Prix : 19.00 / 124.63 F
ISBN : 978-2-84186-422-5
GENCOD : 9782841864225
Sorti le : 04/10/2007
- Les presentations des editeurs : 13/10/2007
DES CHIFFRES ET DES DOUTES
La publication des chiffres de la delinquance est devenue l’un des moments clefs de la vie politique et mediatique : la criminalite baisse, la police est performante et l’on s’extasie sur cette amelioration mathematiquement prouvee. Pourtant, contrairement a ce que l’on voudrait (nous faire) croire, ces chiffres si rassurants relevent davantage d’une fabrique bien huilee que d’une veritable approche scientifique. La verite des chiffres dissimule des constructions comptables chaotiques et… inquietantes. Plongee detaillee dans l’univers des commissariats et des gendarmeries ou s’elaborent ces chiffres, ce livre devoile toutes les recettes utilisees pour construire les resultats souhaites en haut lieu et raconte comment s’est bati un systeme qui, depuis le gardien de la paix jusqu’au ministre, piege l’ensemble des participants. Produire les bons chiffres devient la preoccupation principale, meme si cela a des consequences nefastes sur le travail policier, meme si cela signifie releguer le public au second plan, meme si cela nuit a leur mission meme : la lutte contre la delinquance.
Jean-Hugues Matelly est chercheur associe au Centre d’etudes et de recherche sur la police a l’IEP de Toulouse. Christian Mouhanna est charge de recherches au CNRS. Ils sont specialistes des questions de police et de justice.
- Les courts extraits de livres : 13/10/2007
Extrait de l’introduction :
Les chiffres fascinent.
Ils s’affichent dans les journaux pour mieux marquer les esprits. Ils ponctuent les articles comme autant d’arguments d’autorite. Ils donnent au non-specialiste le sentiment de disposer rapidement de clefs de lecture pour mieux comprendre les problemes. Diagrammes et courbes offrent ainsi des images comprehensibles et facilement memorisables, qui permettent une grande lisibilite des situations. Alors que les longs discours ou les raisonnements fatiguent, les affirmations fondees sur quelques chiffres bruts ou quelques pourcentages parlants suffisent a enoncer des verites reputees indiscutables, parce que scientifiquement prouvees.
Ce constat s’applique particulierement bien aux statistiques policieres, diffusees avec grand fracas tous les mois et amplement reprises par les medias. Meme si les variations enoncees d’un mois sur l’autre sont parfois infimes, les commentaires font regulierement la une des journaux. Un jour ils s’inquietent de l’accroissement du nombre de delits constates, un autre ils se felicitent de la baisse du nombre de plaintes enregistrees par les services de police. Si quelques critiques emergent ca et la, bien peu de gens en definitive comprennent ce que signifient reellement ces chiffres. Alors que des elections se gagnent ou se perdent sur des themes comme l’insecurite, beaucoup de commentateurs se gargarisent de chiffres interpretes souvent de maniere abusive. Bons et mauvais chiffres sont analyses comme revelateur d’une degradation ou d’une amelioration du climat social et de l’etat de la delinquance, d’un accroissement ou d’une baisse de l’efficacite policiere, ou bien du succes de tel ou tel ministre de l’Interieur, surtout lorsque celui-ci veut se presenter a l’election presidentielle.
Les medias ne sont d’ailleurs pas les seuls a user et abuser des chiffres : ils ne sont finalement que le reflet de pratiques solidement ancrees dans les ministeres et les organisations policieres. Ces institutions se focalisent de plus en plus sur la culture du chiffre, qui se manifeste a la fois dans leurs rapports avec l’exterieur et dans la gestion interne. Vis-a-vis du grand public, la publication des chiffres de la delinquance et des taux de reussite de la police est devenue un evenement majeur du calendrier politique, au meme titre que ceux de l’inflation ou du chomage. Sur le plan politique, des ministres ont demande a etre juges en fonction de resultats chiffres. En interne, de plus en plus, policiers et gendarmes sont evalues en fonction de ces chiffres : taux de criminalite, taux d’elucidation, nombre de gardes a vue, nombre de personnes mises a disposition de la justice, etc. Des systemes sont mis en place pour conditionner le versement de primes et un salaire au merite en fonction de ces resultats.
Pourtant, il reste une question de fond trop peu evoquee : que veulent dire ces chiffres ? Quelle credibilite leur accorder ?
Une premiere remarque de bon sens s’impose : les policiers et les gendarmes sont dans cet ensemble juge et partie. Ce sont eux qui produisent l’essentiel des chiffres concernes. Parallelement, ils sont evalues sur ces memes chiffres. Grande est alors la tentation de peser sur les indicateurs qui vont determiner leur image et leur remuneration. Il n’y a la rien de surprenant. Bien des travaux de sciences humaines ont montre que, loin de refleter de maniere neutre l’activite des personnes concernees, ces chiffres etaient une construction sociale. En d’autres termes, s’il sait qu’il est juge sur un chiffre, l’homme fera tout ce qui est en son pouvoir pour que celui-ci corresponde le mieux a ce qui est son interet. Il existe donc de multiples facons de jouer sur la production des chiffres, et ce, a tous les echelons de la hierarchie, depuis le gardien de la paix en patrouille dans la rue jusqu’aux cabinets ministeriels…