Auteur : Pierre Jourde
Date de saisie : 20/11/2007
Genre : Litterature Etudes et theories
Editeur : l’Archange Minotaure, Apt, France
Prix : 16.50 / 108.23 F
ISBN : 978-2-35463-000-3
GENCOD : 9782354630003
Sorti le : 29/05/2007
- Les presentations des editeurs : 17/09/2008
” Ces dessins muets viennent de loin, d’un monde qui n’a plus rien a voir avec le notre.
L’obscurite de leur origine accentue encore cette distance. Ce defile d’images sans createur est sui generis. Qui l’a produit ? Personne : le temps, l’obscurite, les vieux papiers. C’est cela que nous cherchons, aussi, en contemplant ces images, cette epaisseur du temps qui se creuse jusqu’a ces images, cette sensation d’eloignement qu’accentuent les intermediaires, les editions, les commentaires, le silence, l’inconnu, et pourtant cette presence immediate, cette evidence du monstre.”
PIERRE JOURDE a publie quatre romans dont Festins secrets en 2005, pour lequel il a recu le Prix Renaudot des Lyceens ainsi que le Grand Prix Thyde Monnier de la Societe des Gens de Lettres. Il s’est egalement adonne au pamphlet sur la litterature contemporaine avec La Litterature sans estomac. Il est l’auteur, en outre, de divers essais litteraires dont Geographies imaginaires, Empailler le toreador, Litterature et authenticite.
- Les courts extraits de livres : 17/09/2008
Au matin, l’aventurier des bibliotheques penetre dans son terrain de chasse. Pour y parvenir, il a affronte de terribles dangers : le vent et la pluie, les sols qui glissent, les pannes d’escalators. Les ossements des vieux erudits qui l’ont precede jonchent le parcours. Lui a survecu. Le plus dur reste a faire : ne pas se perdre dans les detours infinis des catalogues. Atteindre le gibier. L’erudition est une aventure. Indiana Jones equipe de lunettes, il s’avance dans la foret des livres, a la recherche de la bete rare, du monstre. Il doit percer des mysteres, dejouer des ruses informatiques et des pieges bibliographiques.
Il a entre les mains une edition du XIXe siecle d’un ouvrage publie au milieu du XVIe. Cela s’appelle Songes drolatiques. 120 gravures etranges, deconcertantes, entre l’effrayant et le comique. On ignore d’ou vient ce livre. On ignore ce qu’il signifie. Ces images qu’il regarde, si nettes, ne lui disent rien de leur origine ni de ce que cherchait celui qui les a fait naitre un jour. Elles paraissent emerger d’une distance infinie, sortir de l’ombre des siecles. Il n’existe rien de semblable a l’epoque ou vit l’aventurier des livres.
Elles semblent s’amuser a dejouer les interpretations. Elles se donnent et elles se refusent. Leur apparente profusion, leur truculence flamande s’accompagne d’une sorte de retrait. Une grande partie des visages se dissimule dans des capuches, sous de grands chapeaux, des masques, dans des cruches. Il y a des ricaneurs, des mornes, des furieux, mais beaucoup de ces visages, lorsque leurs yeux sont visibles, restent inexpressifs et froids. Qu’y a-t-il dans le regard vide de ce bebe emmaillote soutenu par des etais en forme de fourche, autour de qui tourbillonnent des spores ou des mouches ? Pour quelle etrange ceremonie, au nom de quel pouvoir brandit-il ce baton surmonte d’une chouette ? Pourquoi, au trousseau qu’il porte en bandouliere, ce pied fourchu de chevreuil ou de bouc ? Cette faiblesse, cet abandon inquietent plus encore que l’agressivite d’autres figures bardees d’armes, comme si la corruption habitait l’enfance meme. L’antechrist est deja ne, annonce Rabelais dans le Tiers livre, mais c’est encore un nourrisson.
Cette indifference, au premier abord, tranche avec la monstruosite, mais plus secretement l’accentue : on nous regarde depuis un autre monde, l’esprit, les preoccupations de ces creatures nous demeureront impenetrables. Comment leur donner un sens ? En ont-elles un ? Celui qui les a creees est-il a present trop loin de nous pour que nous puissions comprendre ?