Auteur : Laurence Barrere
Date de saisie : 26/10/2007
Genre : Romans et nouvelles – francais
Editeur : D’un noir si bleu, Gibles, France
Collection : Traverses
Prix : 15.00 / 98.39 F
ISBN : 978-2-916499-06-2
GENCOD : 9782916499062
Sorti le : 15/09/2007
- Les presentations des editeurs : 17/09/2008
La, vous vous affolez. Vos yeux pivotent dans tous les sens. Ils cherchent. Fouillent. L’angoisse monte. Trouver. Vite. Ils s’arretent sur la fenetre. Non. Sur les piles de dossiers bien ordonnees. Non. Sur le tableau derriere le docteur. C’est une calligraphie japonaise. Oui. Non. Vite. Tout a coup, vous voyez une fissure dans le mur. Une fissure tres fine, qui part du plafond et s’arrete a mi-hauteur. Le tableau. La fissure. Le tableau. Vous optez pour la fissure.
C’est un bon choix. C’est une fissure accueillante. Vous vous detendez…
Devant une realite trop brutale, le cerveau elabore des strategies de fuite dont la variete et l’ironie ne laissent pas de surprendre. Henri, Rosalie, l’homme a la valise et les autres tentent ici d’apprehender par l’humour, la fantaisie, la diversion ou le deni, un univers qui ne cesse de leur glisser entre les doigts. Ils souffrent parfois de l’absence de l’autre, mais plus encore de leurs propres fugues.
- Les courts extraits de livres : 17/09/2008
Samedi d’hiver, fin d’apres-midi. Je flane dans le centre-ville. Tout brille, les vitrines, les phares des voitures, les porte-monnaie… Mais quelques centaines de metres plus loin, les avenues animees laissent place a des rues plus etroites. Les lampadaires isoles peinent a combattre le soir qui tombe.
Je passe devant un magasin, puis je stoppe. Pourquoi ? Mon corps s’est arrete, tout seul – il y a bien longtemps que mon corps fait ce qu’il veut. C’est mon oeil qui a impose cet arret a mes jambes ; plus precisement le coin externe de mon oeil gauche. Je reste attentive, laisse remonter… Voila, ca y est. Une image, une forme brune, s’est imprimee dans mon oeil gauche et ne veut pas en partir.
Je recule, pas a pas, sans me retourner. Je veux que l’image se reflete dans le meme coin de l’oeil, sinon je risquerais de ne pas la reconnaitre. Je repasse a reculons devant la porte grise, l’entree du magasin poussiereux, une brocante, la vitrine et son amoncellement d’objets vieux et ternes. Oui, c’est la. Je m’arrete. Qu’est-ce que c’est ? Un escabeau, une cage exotique, des statuettes. Non. Alors quoi ?
Le tabouret.
Oui. Voila ce qui s’est incruste dans ma retine. Un tabouret a trois pieds, comme un tabouret de vacher, sauf qu’il est entierement sculpte. Des pieces de cuivre ornent le siege, lui donnent un aspect exotique, marocain peut-etre. Bon, et alors ? Je cherche, je cherche, je ne comprends pas. Soudain mes cotes se resserrent, une sensation d’angoisse… Ah ! Pourquoi mon corps est-il plus vivant que mon cerveau ? C’est comme ca depuis… depuis toujours. Non, pas depuis toujours, depuis…
Depuis-que-ma-mere-est-partie-de-la-maison-et-qu’elle-a-emporte-ce-tabouret. Merde.
Je reste immobile devant cette vitrine, contemplant par-dela mon reflet gris, par-dela la masse des objets presentes, mon passe opaque et mouvant comme une eau sale, qui se defile quand je tente de le capturer.
Ma salope de mere.
Le tabouret est flou puis, peu a peu, il redevient net. Aucun doute. Je pousse la porte du magasin.
– Je peux vous aider ?