Ruben Bareiro Saguier ou L’hybridite culturelle paraguayenne

La problematique identitaire surgit frequemment la ou la diversite se manifeste. Le recours constant a un double systeme de references – avec les difficultes et les ambiguites que cela implique – a toujours caracterise la societe du Paraguay. Pour comprendre cette communaute, il faut joindre les dimensions individuelles et collectives dans une approche conceptuelle qui permette de saisir l’incidence des structures socioculturelles antagoniques sur le Metis et son contexte politique, religieux et linguistique. S’interroger sur l’alterite paraguayenne, c’est reflechir au poids du terroir et au lien qui a attache Ruben Bareiro Saguier a sa terre natale. Pour cet ecrivain de la vieille terre ouverte des maitres du vent, la pluriculturalite est un sujet lourd en emotivite. Il a accompli un travail consequent, et en ce sens il a realise la performance d’integrer, dans l’ensemble de sa transcription, une creation correspondant a l’emprise culturelle hispano-guarani qui s’accorde entierement a sa condition d’auteur metis. Cette reconnaissance est parvenue a lui faire prendre conscience de sa veritable identite, notamment durant sa periode d’exil en France. Ses experiences d’intellectuel, d’auteur et de poete ont fait l’objet d’une volonte de partager une histoire, de la devoiler, de la coucher sur du papier comme pour la conjurer en la nommant, car son ecriture transcriptive reflete sans conteste la realite culturellement hybride du Paraguay.

Gerard GOMEZ, Maitre de Conferences et chercheur ou sein de l’Equipe d’Accueil des Etudes Romanes de l’Universite de Provence et chercheur au Centre de Recherches sur l’Amerique latine et les Caraibes a l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix en Provence, est specialiste du Paraguay. Il a publie en France et en Amerique latine de nombreux travaux sur le monde paraguayen.

Si l’on veut reellement saisir le concept cosmogonique de ces ethnies dans son ensemble, il faut cependant se referer aux importants travaux de recherche du Roumain Mircea Eliade qui affirme que certaines anciennes tribus africaines comme celle des Ewes croyaient deja en la divinite celeste, comme l’ont toujours fait depuis les chretiens ou meme les Indiens Guarani. C’est pourquoi il n’est pas du tout surprenant que l’on constate aujourd’hui au Paraguay une reelle fusion entre les conceptions religieuses catholiques et guarani. Les trois cosmovisions cites ci-dessus a savoir africaine, europeenne et sud-americaine concoivent une divinite celeste et, sans avoir recours a l’affabulation mythique, le ciel revele sa transcendance et son aspect sacre. Cependant, pour certaines tribus guarani, comme les Maka du Chaco, le domaine du Tres Haut peut egalement abriter des etres effrayants et nuisibles. En effet, ils concoivent le soleil et la lune comme etant des monstres anthropophages. Quant aux Mbya, ils decrivent souvent le ciel comme un lieu de conflit ; le jaguar bleu sacre qui devore la lune pendant l’eclipse revele l’un des passages de la mythologie guarani (comme nous le verrons ulterieurement Ruben Bareiro Saguier fait allusion au combat entre le jaguar bleu et la lune dans le conte Ojo por diente qui donne son titre a son premier recueil narratif).
Par ailleurs, la hierogamie cosmique (la fusion du ciel et de la terre) determine frequemment le mythe cosmogonique dans la population vernaculaire sud-americaine. L’hypothese selon laquelle le continent americain aurait ete peuple par des asiatiques est renforcee par le fait que ces derniers concevaient l’autre monde comme une image inversee du notre, une conception egalement courante chez l’element autochtone sud-americain. Les mythes ethologiques, autrement dit la science des comportements des especes animales dans leur milieu naturel definissent egalement le concept de la cosmogonie des ethnies citees precedemment et ont une portee toute particuliere chez les Guarani qui ne croient pas en un etre unique superieur regissant le monde animal, mais en plusieurs. Chez ces derniers, chaque espece animale recoit le flux d’une puissance superieure, d’ou l’importance du regne animal dans la culture Tupi-Guarani. Le serpent (premier habitant de la premiere terre concue par la mythologie guarani) apparait chez eux comme le protecteur et l’allie des hommes qui chassent car il a le pouvoir d’hypnotiser ses ennemis et ses proies bien que les Tupi-Guarani n’aient jamais ete consideres comme de grands chasseurs (Ruben Bareiro Saguier s’est refere a la mythologie guarani pour ecrire le recueil de poemes intitule A la vibora de la mar qui constitue non seulement un exercice de traduction intertextuelle mais aussi un impressionnant travail de transcription du monde oral guarani au transcrit espagnol).