Skip to content Skip to sidebar Skip to footer

Singuliere philosophie : essai sur Kierkegaard

Auteur : Vincent Delecroix

Date de saisie : 00/00/0000

Genre : Philosophie

Editeur : Felin, Paris, France

Collection : Les marches du temps

Prix : 18.90 / 123.98 F

ISBN : 978-2-86645-627-6

GENCOD : 9782866456276

Acheter Singuliere philosophie : essai sur Kierkegaard chez ces libraires independants en ligne :
L’Alinea (Martigues)Dialogues (Brest)Durance (Nantes)Maison du livre (Rodez)Mollat (Bordeaux)Ombres Blanches (Toulouse)Sauramps (Montpellier)Thuard (Le Mans)

  • Les presentations des editeurs : 26/10/2006

La place generalement attribuee a Kierkegaard dans l’histoire de la philosophie temoigne toujours d’un certain embarras. Lui qui, ironiquement, pretendait avoir, au moment meme ou il ecrivait, une place deja reservee dans la grande necropole des philosophies disparues, il n’a cesse d’importuner ceux qui ont voulu l’enterrer. Qu’etait-il ? Philosophe anti-hegelien, incarnant la reaction de la subjectivite concrete contre le systeme abstrait de la metaphysique a son achevement ? Pere de l’existentialisme ? Chretien torture ? Ironiste et penseur prive ? Polemiste ? Poete du religieux ? Simplement ecrivain ? Cet essai voudrait montrer que cette incertitude tient au fait que Kierkegaard ne construit pas seulement des categories philosophiques qui vont marquer l’histoire de la philosophie au XXe siecle, de Heidegger a Gadamer ou Wittgenstein, mais qu’il invente surtout une nouvelle maniere de philosopher. Car la pensee existentielle, une philosophie qui veut penser le fait meme de l’existence dans ce qu’il a d’irreductible au Concept, necessite un autre discours – une autre facon de parler, de batir des concepts, mais aussi de s’adresser au lecteur et de se faire comprendre de lui. Et pour remplir cette exigence, la litterature peut venir au secours de la philosophie : elle construit des fictions et installe un philosophe en premiere personne dans un discours jusqu’alors funestement voue a l’impersonnalite, elle se donne un lecteur singulier et des jeux complexes de representation qui doivent indiquer ce qui echappe generalement a l’objectivite du discours. Il faut alors moins examiner le contenu de cette philosophie que la forme qui en rend possible la production, cette singuliere facon de philosopher, cette maniere de philosopher au singulier et pour le singulier – la reinvention de l’acte de philosopher et d’ecrire.

L’auteur, Vincent Delecroix, est ne en 1969. Ancien eleve de l’Ecole normale superieure d’Ulm. Agrege de philosophie, docteur en philosophie, diplome de l’Institut d’etudes politiques de Paris. Maitre de conferences a l’Ecole pratique des hautes etudes, il y enseigne la philosophie de la religion. Il a par ailleurs publie un roman, A la porte (Gallimard, 2004), un recit, Retour a Bruxelles (Actes Sud, 2003) et un recueil de nouvelles, La Preuve de l’existence de Dieu (Actes Sud, 2004). Son dernier roman, Ce qui est perdu, est paru en septembre 2006 chez Gallimard. Les editions du Felin publient parallelement sa traduction de Exercice en christianisme de Kierkegaard.

  • Les courts extraits de livres : 26/10/2006

A QUOI BON PHILOSOPHER ?

A l’assaut de la philosophie

Le rapport de Kierkegaard a la philosophie est, c’est le moins qu’on puisse dire, conflictuel. Sa polemique dirigee contre les philosophes est bien une polemique dirigee contre la philosophie, c’est-a-dire contre le discours philosophique lui-meme. La position qu’il occupe dans cette polemique n’est pas exactement le champ de bataille habituel qui voit s’opposer, peut-etre sterilement, les doctrines philosophiques, leurs resultats. Certes il est indeniable qu’il s’y lance egalement a corps perdu, ferraillant contre la mediation, l’Aufhebung, l’objectivite ou les determinations specifiques de l’epoque. Il parait alors revendiquer une conception philosophique contre une autre. Mais si tel etait seulement le cas, l’avenir de la philosophie kierkegaardienne serait en verite assez sombre, bien que nettement previsible : philosophie depassee, et depassee au moment meme ou elle est ecrite, clouee bien proprement dans l’un de ces cercueils qu’avait prepares si genereusement a l’avance le Systeme (hegelien) – avec pour epitaphe : Conscience malheureuse. Climacus lui-meme reconnait qu’une place lui est deja reservee dans la necropole du Systeme. Sa revivification dans la premiere moitie du XXe siecle ne rend pas plus optimiste, car, dans notre postmodernite philosophique, elle peut avoir une nouvelle epitaphe : Philosophie du sujet.
Il fait bien pis, car c’est bien au discours philosophique lui-meme qu’il s’en prend, pas seulement aux contenus de ce discours et pas seulement sous sa forme specifiquement hegelienne. De ce point de vue, si Hegel demeure comme on sait l’adversaire principal, c’est qu’il represente l’achevement du discours philosophique, le point terminal de l’histoire de la philosophie qu’il revendiquait pour lui-meme. Il n’en est pas simplement un embleme volontairement caricature, mais pas non plus seulement celui dont il faut saper les desastreuses categories et les desastreux effets. Il y a certes bien un debat philosophique qui lie Kierkegaard aux autres philosophes, un debat technique, conceptuel, d’une importance vitale. Mais si l’on veut rendre raison de la philosophie kierkegaardienne, il faut voir jusqu’ou porte sa critique : la polemique contre Hegel, on l’a souvent remarque, derape en une polemique contre toute philosophie.
C’est la, dira-t-on, une erreur classique dans l’interpretation que l’on fait de Kierkegaard. On aurait plutot tendance en effet a considerer cette polemique soit comme superficielle soit comme strategique, puisqu’il philosophe en depit de cela. C’est une question, on l’a dit en Introduction, qui est aussi de legitimation et qui n’a rien de futile. On peut bien sauver le discours kierkegaardien en faisant l’inventaire de son materiau philosophique dont la richesse n’a rien a envier aux grands philosophes, mais c’est la un argument fragile. On peut faire mieux evidemment, en constatant la fecondite philosophique de son oeuvre – et l’on sait qu’elle fut grande pour le XXe siecle. Mais il faut tout de meme bien rendre raison du terrain sur lequel il se place pour ainsi philosopher sans en avoir l’air. Et pour ce faire, prendre au serieux ce qui ne semble que polemique grossiere, cette reiteration sempiternelle du fait qu’a force de savoir (philosophique) on a oublie ce que c’etait que d’exister. Au moins rendre raison de cela : pourquoi philosophe-t-il alors, celui qui declare ouvertement que la philosophie est un mal, en quelque sorte le mal du siecle qui aura eu au moins ces deux effets catastrophiques, selon Kierkegaard, d’abolir la foi et de faire oublier l’existence ? Si l’attaque est strategique, de quelle strategie releve-t-elle ? Que signifie alors cette facon de faire de la philosophie deguisee ou de contrebande – car, meme quand son discours prend la forme canonique du discours philosophique, une ironie souterraine et formelle continue de saper les pretentions apparentes des propositions formulees.