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Styx

Auteur : Roger Magini

Date de saisie : 10/10/2007

Genre : Romans et nouvelles – francais

Editeur : Ubu editions, La Madeleine-de-Nonancourt, France

Prix : 12.50 / 81.99 F

ISBN : 2-35197-003-9

GENCOD : 9782351970034

Sorti le : 28/04/2006

  • Les presentations des editeurs : 11/10/2007

Roman de guerre et de mer, Styx est de ces livres rares dont la musique ne quitte pas le lecteur. Habite par l’esprit du Malraux de La Voie Royale, par les accents de Melville ou de Conrad, il decrit les ultimes jours de Lambert, ramasseur d’epaves sur les rives du Saint-Laurent.

Une nuit de tempete, avec sa compagne d’infortune, Core, il recueille un marin rejete par les flots, skeaper naufrage de la course Quebec Saint-Malo. La compassion portee a ce blesse reveille, dans les gestes et l’esprit de Lambert, les souffrances de la guerre.

Roger Magini est ne en 1945 a Monaco. Il vit au Quebec depuis 1967 ou il a oeuvre dans le monde de l’edition pendant trente ans. Il est fascine par le Mexique, pays dans lequel il a sejourne plusieurs fois. Depuis quelques annees, il se consacre entierement a l’ecriture.

Une oeuvre essentiellement baroque, proteiforme, brillante par surcroit C’est terriblement intelligent Personne n’ecrit comme Roger Magini.

Reginald Martel, La Presse

  • Les courts extraits de livres : 11/10/2007

Lorsque la greve ouvrit a l’aurore ses leproseries de mollusques desquames et de crustaces desarticules, Lambert se reveilla. Il se redressa lourdement et secoua sa tete pleine de sable. La veille il s’etait etendu la a quelques enjambees des vagues pour y attendre une tempete qui n’etait pas venue, puis il s’etait endormi, indifferent aux spectres blottis les uns contre les autres et lumineux d’insolence qui lui posaient toujours la meme question : Pour quelle raison as-tu echoue a Sainte-Luce-sur-Mer ? Non pas qu’il l’ignorat, mais il s’etait interdit de combler la curiosite de ceux qui avaient manifeste le desir d’en savoir plus a son endroit. Pour tout dire, il avait touche le fond ; puis la lassitude et le hasard avaient chacun a leur maniere contribue a son installation definitive dans ce village de la rive sud du Saint-Laurent, balaye par les vents et les marees et les neiges calamiteuses, transperce par de dementielles temperatures hivernales. Sainte-Luce possedait, comme l’abregent pour tenter de l’oublier ses fantomes pete-sec, des qualites qu’il avait en vain cherchees ailleurs : desolation et isolement y regnaient neuf mois sur douze et il pouvait encore affirmer aujourd’hui, sans qu’on le contredit, que cette situation n’avait pas evolue.

En ce mois de janvier ou des vents belliqueux l’avaient accule aux portes de Sainte-Luce, il avait cru que rien de comparable a ce qu’il avait vecu ne pourrait ici se repeter. Une prefiguration de l’enfer, avec pour limites le golfe du Tonkin. Les nuits indochinoises qui explosaient encore dans ses cauchemars, tels des bouquets de grenades, n’evoquaient aucun sejour paradisiaque. Ses cicatrices etaient recousues de fil noir et s’appelaient Cao Bang et Long Son, et s’il devait encore aujourd’hui chercher quelque ressemblance entre ce fleuve suaire qui charriait ses scories d’icebergs a la derive et les fantomes amputes ou cribles par la mitraille qui hantaient le delta du Song Koi, il n’eut pas fait de difference. Le meme avant-gout de l’enfer le faisait saliver.
Quand il abordait au crepuscule la plage de Sainte-Luce et que la brise ecumait le ressac agonisant a ses pieds, le silence pivotait dans sa tete et le catapultait aux portes de ces hameaux perdus au nord du dix-septieme parallele, ses bottes martelaient la terre seche et poussiereuse devant leur case ou ligotes des paysans vetus de noir attendaient fermement, sans broncher, la mort qu’il venait leur offrir. Leurs regards ne trahissaient ni pitie ni reddition et avec la meme hargne qu’il les passait par les armes, comme il l’avait fait plus tot avec les porcs gris et noirs qui erraient entre les cases, il entrainait la plus jeune des paysannes rebelles dans l’intimite des grands arbres et l’avilissait et la violait et apres ce hatif festin d’horreur que la memoire ravalait pour mieux le digerer et l’oublier, la baionnette qu’il enfoncait dans son vagin dechiquete effacait ce mirage infernal dont il etait impossible qu’il ne se souvint pas un jour. Et du meme geste machinal avec lequel il donnait le coup de grace, il remontait sa braguette et s’en allait enfanter ailleurs ses devastations, ses gorges tranchees dans une musique de gargouillis et de crepitement de toits de palmes en feu, et l’indolente brise aux fetides odeurs de lianes l’apaisait, comme la satisfaction de la mission accomplie. Et il en fut ainsi pendant quatre ans, des hauts plateaux au lit des fleuves, des cuvettes frangees de rideaux de bambous aux rizieres inondees ou se mirait l’apparente placidite du ciel, des plaines aux deltas, des heures vertes de la jungle aux matins clairs infestes de bestioles et de reves de mort. Malgre cela, il n’avait jamais accede au veritable enfer, ni jamais amarre sa conscience a ses pontons geignants. Tout restait encore a faire et a decouvrir.