Auteur : Ursula Hegi
Traducteur : Clement Baude
Date de saisie : 02/01/2008
Genre : Romans et nouvelles – etranger
Editeur : Galaade editions, Paris, France
Collection : Litterature etrangere
Prix : 26.00 / 170.55 F
ISBN : 978-2-35176-037-6
GENCOD : 9782351760376
Sorti le : 23/08/2007
- Le choix des libraires : Choix de Jacques Griffault de la librairie LE SCRIBE a MONTAUBAN, France – 17/09/2008
Pendant de longs mois apres la naissance de Trudi Montag sa mere, Gertrud, refusera de la toucher, de la regarder. Trudi est naine. Gertrud fera des fugues, des allers et retours en asile. Plus tard, ayant enfin accepte Trudi, elle partagera avec elle ses secrets et lui racontera, blottie dans le coin de la cave ou elle passe le plus sombre du temps, sa chute de la motocyclette conduite par Emil Hesping, les graviers dans son genou, le jour meme ou Leo Montag, son mari, fut blesse a la guerre, au meme genou.
Trudi a juste quatre ans lors de l’enterrement de sa mere ; elle est persuadee qu’elle reviendra lorsqu’elle aura grandi. Elle a comme ami Georg, un petit garcon solitaire que les autres enfants traitent comme une fille avec ses cheveux longs et ses vetements feminins dont l’affuble sa mere. Georg pense, lui aussi, que son pere reviendra a la nage dans le fleuve ou il s’est noye un soir de beuverie. Georg qui excelle dans le mensonge mais n’a jamais menti a Trudi sa seule amie jusqu’au jour ou…
Nous suivons Trudi dans sa vie quotidienne dans le petit village de Burgdorf, pres de Dusseldorf, de 1915 a 1951. Elle subit brimades et vexations mais on ne se mefie pas de Trudi, on parle librement devant elle. Elle est en quelque sorte la memoire vivante et vibrante de Burgdorf. Elle va etre temoin de l’arrivee au pouvoir d’Hitler, des effets du nazisme sur la vie quotidienne a Burgdorf avec les complicites silencieuses, les bassesses, les faiblesses, les mensonges et la soumission, l’innommable mais aussi le courage, la generosite, la vaillance, l’heroisme, la resistance a la barbarie. Confrontee a des situations extremes jamais elle n’abandonnera sa dignite qui fait la fierte de son pere. C’est toute une periode tourmentee et tragique de l’histoire allemande qui nous est narree par Trudi au travers de la vie de tous les jours, banale, tragi-comique, parfois insaisissable d’une petite ville ordinaire.
L’auteur evite de trancher brutalement dans des situations complexes et laisse s’exprimer la multiplicite des points de vue. Ainsi Trudi et son pere cachent-ils dans leur cave des fugitifs sans pour autant se lancer dans la chasse aux collaborateurs bien qu’ils aient le nazisme en horreur.
Un tres grand roman, ambitieux, puissant, parfaitement reussi.
N.B. Nee en 1946 en RFA, Ursula Hegi passe sa jeunesse en Allemagne. A dix-huit ans elle part aux Etats-Unis. Critique litteraire pour le New York Times, le Los Angeles Times et le Washington Post, elle a recu, depuis la parution de son premier roman Intuitions en 1981, de nombreux prix litteraires americains. Trudi la naine, selectionne pour le prix Pen Faulkner 1994, est son premier livre traduit en francais.
- Les presentations des editeurs : 17/09/2008
Enfant, Trudi Montag croyait que chaque etre humain savait ce qui se passait dans la tete des autres.
Trudi Montag vit a Burgdorf pres de Dusseldorf.
Trudi est naine. Souvent seule, sujette a mille et une brimades, elle passe son temps a observer ceux qui ne la voient pas.
Trudi raconte les autres, jour apres jour, dans leurs secrets les plus sombres et les plus inavouables.
Au fur et a mesure que s’accroit le pouvoir d’Hitler, elle nous dit ce que chacun choisit de se rappeler ou d’oublier. La resistance a la barbarie pour les uns, le mensonge et la compromission pour les autres.
De la defaite de 1918 jusqu’au silence collectif sous le nazisme, c’est tout un pan de l’histoire allemande qu’evoque Ursula Hegi au fil d’une narration eblouissante et audacieuse.
Nee en 1946 en RFA, Ursula Hegi passe sa jeunesse en Allemagne avant de partir, a dix-huit ans, aux Etats-Unis. Critique litteraire pour le New York Times, le Los Angeles Times et le Washington Post, Ursula Hegi a recu, depuis la parution de son premier roman Intuitions en 1981, de nombreux prix litteraires americains. Trudi la naine, selectionne en 1994 pour le prix Pen Faulkner, est son premier livre traduit en francais.
- Les courts extraits de livres : 17/09/2008
1915-1918
Enfant, Trudi Montag croyait que chaque etre humain savait ce qui se passait dans la tete des autres. C’etait avant qu’elle comprenne en quoi sa difference faisait sa force. Et son angoisse. En quoi, aussi, c’etait un peche que de pester contre un Dieu impuissant. Mais avant cela, pendant de longues annees, elle avait prie pour pouvoir grandir.
Tous les soirs, elle s’endormait en priant pour que, pendant son sommeil, son corps s’allonge et grandisse jusqu’a egaler en taille celui des autres filles de Burgdorf. Pas forcement la taille des plus grandes, comme Eva Rosen, qui allait devenir, un temps, sa meilleure amie a l’ecole ; non, simplement un corps avec des jambes et des bras normaux, ainsi qu’une petite tete bien proportionnee. Pour plaider sa cause aupres de Dieu, Trudi se suspendait au linteau des portes avec les doigts, jusqu’a ce que ceux-ci s’engourdissent, persuadee qu’elle etait de sentir ses os s’allonger ; bien des soirs, elle enroulait sur sa tete deux foulards en soie appartenant a sa mere – l’un autour du front, l’autre noue sous le menton -pour empecher sa tete de grossir.
Dieu sait combien elle priait… Et chaque matin, constatant que ses bras etaient encore courts et que ses jambes n’atteignaient toujours pas le sol quand elle s’asseyait au bord du lit, Trudi se disait qu’elle n’avait pas assez prie, ou bien que le moment n’etait pas encore venu. Alors elle continuait de prier, d’esperer et de croire que, a condition d’etre patiente, toutes les prieres finissent par etre exaucees.
Patience et obeissance, notions presque inseparables, et dont l’apprentissage commencait des les tout premiers pas : on apprenait a obeir a ses parents et aux autres adultes, puis a son eglise, a ses maitres d’ecole, a son gouvernement. Les actes de desobeissance etaient punis, severement, promptement : un coup de regle sur les phalanges, trois rosaires a reciter et l’enfermement jusqu’a nouvel ordre.
Une fois adulte, Trudi mepriserait les imbeciles qui passaient leur temps a attendre a genoux dans les eglises. Mais, petite fille, elle allait a la messe tous les dimanches et chantait dans la chorale. Les jours de semaine, en revenant de l’ecole, elle faisait parfois un petit detour par l’eglise Saint-Martin, trouvant un vrai reconfort dans l’odeur sainte de l’encens et murmurant ses prieres aux saints de platre qui jalonnaient chaque cote de la nef : pres du confessionnal, saint Pierre, le sourcil perpetuellement leve, comme pour montrer qu’il avait entendu tous les peches des habitants de Burgdorf murmures a l’oreille des generations successives de pretres blases ; sainte Agnes, avec ses yeux tristes tournes vers le ciel et ses doigts accroches a sa poitrine, pour se proteger des nouvelles et innombrables attaques dont sa purete faisait l’objet ; et saint Etienne, un tas de cailloux couleur chocolat masquant ses pieds – a l’exception d’un orteil platreux -, ses bras en sang ecartes comme pour implorer ses ennemis de lui jeter des pierres toujours plus grosses, donc de lui assurer le salut eternel.
Trudi les supplia tous, et son corps grandit. Mais, comme si ses prieres s’etaient soudain transformees en une farce sinistre, son corps ne poussa pas vers le haut, tel qu’elle l’avait espere sans jamais le preciser clairement, mais en largeur, jusqu’a lui donner des bras aussi epais que ceux de M. Immers, le boucher, et une machoire aussi puissante que celle de Mme Weiler, la femme qui tenait l’epicerie d’a cote.
Trudi avait deja compris que prier pour une chose ne la faisait pas arriver pour autant, que ce n’etait qu’une priere, et que Dieu-le-magicien n’existait pas, qu’elle ne grandirait plus jamais, qu’il lui faudrait affronter toute seule les malheurs de la vie, jusqu’a son dernier souffle. Tout cela, elle le comprit avec une clarte qui la glaca jusqu’a la moelle en ce dimanche d’avril 1929, dans la grange des Braunmeier, lorsque le cercle des garcons se referma autour d’elle – ces garcons qui lui ecarterent les jambes et l’ame jusqu’a ce qu’elle ait l’impression que la morve qui couvrait son visage lui resterait tout le temps, figeant sa chair comme du blanc d’oeuf seche – et qu’elle se vit a la fois tres vieille femme et nourrisson, comme si le passe et l’avenir se tenaient aux deux extremites d’un elastique tendu qu’on aurait relache un bref instant, sa vie entiere – chaque seconde qu’elle avait vecue et qu’elle vivrait – s’enroulant sur elle-meme et venant se montrer dans cette grange, a cet instant precis. Elle sut qu’elle aurait ce genre de visions encore a de nombreuses reprises : elle se vit en train d’extraire sa mere de sa taniere sous la maison, de defoncer un pan du mur de pierre dans la cave et de creuser un tunnel secret vers la maison des Blau, de caresser des deux mains le dos de son amant et de sentir l’ovale delicat de ses poils dans le bas de son dos, tandis que le ciel nocturne tourbillonnait autour d’eux, de reculer devant les flammes qui jaillissaient des fenetres brisees de la synagogue et qui arrosaient l’ecole et le Theresienheim d’etincelles de la meme couleur que l’etoile de David en tissu que son amie Eva Rosen devrait un jour porter sur son manteau.
Apres la naissance de Trudi Montag, sa mere refusa de la toucher pendant de longs mois. Grace a des bribes d’on-dit, la petite fille comprendrait plus tard que sa mere avait jete un coup d’oeil sur elle et couvert son visage, comme pour dissiper l’image de cette enfant aux membres courts et a la tete un peu trop grosse. La question qu’avait posee Mme Weiler, plongeant son regard dans le landau en osier, n’avait pas arrange les choses : Est-ce que cette enfant a de l’eau dans la tete ?